Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/299

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
295
LES CHASSEURS D’ABEILLES

Une seconde fois il se fit entendre, et un frémissement indicible courut dans les veines de tous ces hommes pour lesquels c’était le signal de la mort, et qui savaient que pour eux il n’existait pas de salut.

Une troisième fois le cri de l’urubus s’éleva dans l’air, plus rauque et plus sinistre. À peine la dernière note avait-elle fini de vibrer qu’une clameur effroyable éclata de tous les côtés à la fois, et les Indiens se précipitèrent en tumulte sur les retranchements extérieurs qu’ils cherchèrent à escalader.

Les Mexicains, qui les attendaient, les reçurent vigoureusement et en hommes qui, certains de succomber, veulent au moins, avant de mourir, sacrifier le plus possible de victimes.

Les Indiens, étonnés de cette résistance, à laquelle ils étaient loin de s’attendre, car leurs mesures avaient été prises si secrètement qu’ils se croyaient certains de surprendre ceux qu’ils attaquaient, reculèrent malgré eux : alors les canons chargés à mitraille les balayèrent et semèrent parmi eux le désordre et la mort.

Estevan, profitant habilement de la panique qui s’était emparée des Peaux-Rouges, s’élança à la tête de ses vaqueros au milieu d’eux et commença à les sabrer vigoureusement.

Deux fois il revint à la charge avec un courage de lion, et deux fois les Indiens reculèrent devant lui.

Tant que dura la nuit, le combat se soutint avec assez d’avantage du côté des blancs, dont le petit nombre échappait à l’œil des Apaches, et qui, abrités derrière les barricades, tiraient à coup sûr dans la masse compacte de leurs ennemis.

Au bout de deux heures à peu près de cette bataille de géants, le soleil se leva majestueusement à l’horizon et répandit sur le champ de carnage la magnifique splendeur de ses rayons.

Les Indiens saluèrent son apparition par des cris de joie, et se précipitèrent avec une frénésie nouvelle sur les retranchements dont ils n’avaient pu s’emparer jusque-là.

Leur choc fut irrésistible.

Les blancs, après une défense calculée, abandonnèrent un poste qu’ils ne pouvaient plus longtemps défendre.

Les Indiens s’élancèrent au pas de course à leur poursuite.

Mais alors une effroyable détonation se fit entendre, le sol manqua sous leurs pieds, et les malheureux, lancés dans l’espace, retombèrent en lambeaux de toutes parts.

Le sol avait été miné sous leurs pas, et le major venait de donner l’ordre de mettre le feu à la mèche.

Le résultat de cette explosion fut horrible. Les Indiens, épouvantés, commencèrent à fuir dans toutes les directions, en proie à une terreur folle, sourds à la voix de leurs sachems et ne voulant pas retourner au combat.

Un instant les blancs se crurent sauvés.

Mais le Chat-Tigre, monté sur un magnifique cheval noir comme la nuit et faisant flotter au vent le totem sacré des tribus unies, s’élança en avant,