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LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Oui, señor don Fernando, répondit-il, même dans les circonstances auxquelles vous faites allusion, je vous étais fidèle.

— Rayos de Dios ! s’écria le jeune homme avec un commencement d’impatience, je serais curieux d’apprendre de quelle façon vous m’étiez fidèle alors.

— Dame ! seigneurie, je vous étais fidèle à ma manière.

Cette réponse était si extraordinaire et si peu attendue des assistants, qu’un fou rire les gagna, et que malgré la gravité de la situation ils éclatèrent.

El Zapote les salua modestement avec cette humilité orgueilleuse si propre aux hommes d’une valeur contestable qui se considèrent dans leur for intérieur comme des génies incompris.

— Enfin, reprit don Fernando en haussant insoucieusement les épaules, nous verrons bientôt. Je saurai jusqu’où peut s’étendre cette élastique fidélité.

El Zapote ne répondit pas ; il leva les yeux au ciel comme pour le prendre à témoin de l’injustice qui lui était faite, et il croisa les bras sur la poitrine.

— Avant de rien dire, permettez-moi de prendre un peu de nourriture, dit don Fernando, je tombe d’inanition : depuis mon départ du camp je n’ai bu ni mangé.

Estevan se hâta de placer devant lui quelques vivres auxquels le jeune homme et son prisonnier, sur son invitation, firent vigoureusement honneur. Cependant le repas fut court, bientôt l’appétit de don Fernando fut apaisé, il poussa un soupir de soulagement ; après avoir étanché sa soif à l’eau limpide du ruisseau, il revint s’asseoir, et, sans mettre à une plus longue épreuve la curiosité de ses amis, il leur expliqua dans les plus grands détails la cause de sa longue absence.

Don Estevan avait deviné juste, don Fernando avait en effet retrouvé la piste si longtemps et si infructueusement cherchée, cette piste s’enfonçait dans la direction du sud-ouest vers les régions les plus inexplorées du Far-West.

Le jeune homme l’avait suivie pendant plusieurs heures avec cette patience particulière aux chasseurs, afin de bien s’assurer qu’il n’était pas le jouet d’une ruse indienne, et que cette piste était bien la véritable.

Les Peaux-Rouges, lorsqu’ils craignent d’être poursuivis, enchevêtrent si bien leurs traces les unes dans les autres quand ils ne peuvent les faire disparaître, ils jettent une si grande confusion dans leurs pistes, qu’il devient matériellement impossible de reconnaître la bonne de la mauvaise ; cette fois ils avaient employé ce moyen avec une habileté et une dextérité telles que, s’ils avaient eu affaire à tout autre chasseur que le Cœur-de-Pierre, ils auraient réussi à lui donner le change et à le complètement dévoyer : mais don Fernando, habitué à leurs fourberies, ne se laissa pas tromper, du moins à ce qu’il crut reconnaître à quelques indices certains qui, aux yeux d’un homme moins expérimenté que lui, auraient passé inaperçus.

Le jeune homme, heureux de cette découverte, revenait rapidement vers le camp sans cependant négliger aucune des précautions que réclame la prudence, dans une contrée où chaque arbre et chaque buisson peuvent receler l’embuscade d’un ennemi invisible, lorsqu’il lui parut distinguer dans les