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LES CHASSEURS D’ABEILLES

hautes herbes un froissement et une agitation qui n’avaient rien de naturel ; il se laissa doucement glisser à bas de son cheval et se dirigea vers l’endroit suspect en rampant sur les mains et les genoux, avec la rapidité silencieuse d’un serpent qui file dans l’herbe.

Après un quart d’heure de cette marche insolite, le jeune homme atteignit l’endroit suspect ; il lui fallut toute sa présence d’esprit et toute sa puissance de volonté pour retenir le cri de joie et de surprise qui lui vint aux lèvres en apercevant el Zapote commodément assis à terre, la bride de son cheval passée dans le bras gauche et achevant un copieux déjeuner.

Don Fernando se rapprocha de quelques pas encore, afin de ne pas manquer son homme, puis, après avoir avec soin, calculé la distance, il bondit comme un jaguar, saisit le vaquero à la gorge et, avant que celui-ci fût revenu de l’étonnement causé par cette attaque si brusque et si inattendue, il fut garrotté et mis dans l’impossibilité d’essayer la moindre résistance.

— Eh, fit alors don Fernando en s’asseyant auprès de son prisonnier, quel singulier hasard ! comment vous portez-vous, Zapote, mon ami ?

— Vous êtes bien bon, répondit gravement celui-ci, je tousse un peu.

— Oh ! pauvre caballero, j’espère que cela n’aura pas de suite.

— Je l’espère aussi, seigneurie : cependant je vous avoue que cela m’inquiète.

— Bah ! tranquillisez-vous, je me charge de vous guérir.

— Ah ! vous connaissez un remède, seigneurie ?

— Oui, un excellent, que je me propose de vous donner.

— Vous êtes mille fois bon, mais peut-être cela vous gênerait-il.

— En aucune façon, reprit le chasseur. Jugez-en. Je vous propose de vous casser la tête d’un coup de pistolet.

Le vaquero sentit un frisson de terreur courir dans ses veines, cependant il ne se démonta pas.

— Vous pensez que ce remède me guérira ? dit-il.

— Radicalement, j’en suis convaincu.

— Hum ! c’est singulier, seigneurie : malgré toute la déférence que je vous dois, je suis contraint de vous avouer que je ne partage aucunement votre avis à ce sujet.

— Vous avez tort, répondit le chasseur en armant froidement un pistolet, bientôt vous en reconnaîtrez l’efficacité.

— Et vous croyez, seigneurie, qu’il n’y a pas d’autre remède que celui que vous me proposez ?

— Ma foi ! je n’en vois pas d’autre.

— C’est que celui-là me semble un peu violent.

— Bah ! c’est une idée que vous vous faites ; bientôt vous reconnaîtrez que vous avez tort.

— C’est possible, je ne me permettrai pas de discuter avec vous, seigneurie : est-ce que vous tenez beaucoup à m’administrer ici votre remède ?

— Moi ? pas le moins du monde ; est-ce que vous connaîtriez un lieu plus convenable ?