Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Très bien. Et vous connaissez un lieu pareil non loin d’ici ?

— Oui, caballero, je crois même que vous serez charmé de voir les personnes auxquelles je vous présenterai.

— C’est selon quelles sont ces personnes.

— Oh ! vous les connaissez parfaitement, seigneurie : l’une d’elles est le Chat-Tigre, un bien aimable seigneur.

— Et vous vous engagez à m’y conduire ?

— Quand il vous plaira, tout de suite, si vous l’exigez.

Le chasseur repassa son pistolet à sa ceinture.

— Tout de suite, non, dit-il ; il nous faut d’abord nous rendre au campement où m’attendent mes amis ; je ne vous trouve pas si malade qu’il soit urgent de vous administrer à l’instant mon remède, nous pourrons toujours en venir là, si le besoin l’exige.

— Oh ! cela ne presse nullement, caballero, je vous assure, répondit le vaquero en faisant l’agréable.

L’affaire avait été ainsi conclue entre les deux hommes, qui se connaissaient de longue date et qui par conséquent savaient parfaitement ce qu’ils pouvaient attendre l’un de l’autre.

Don Fernando n’avait pas la moindre confiance en Tonillo : aussi il se garda bien de lui donner la tentation de lui fausser compagnie en lui rendant la liberté de ses membres, ce dont le lepero ne se formalisa en aucune façon.

Cependant, comme la nuit était venue pendant leur entretien, ils s’accommodèrent du mieux qu’ils purent pour dormir là où ils se trouvaient, renonçant à gagner le campement avant le lendemain.

À deux ou trois reprises différentes, pendant la nuit, le lepero essaya sournoisement de se débarrasser des liens qui le retenaient, mais chaque fois qu’il voulut mettre ce projet à exécution, il vit le grand œil bleu du chasseur fixé sur lui.

— Est-ce que vous vous sentez indisposé, cher seigneur ? lui dit d’un air narquois le chasseur, au dernier essai qu’il tenta.

— Nullement, répondit-il, nullement, seigneurie.

— Ah ! alors excusez-moi : je vous croyais malade, cette longue insomnie m’inquiétait pour vous, reprit-il avec intention.

Le lepero se le tint pour dit ; il ferma incontinent les yeux et ne les rouvrit qu’au lever du soleil.

Le chasseur était déjà debout, les chevaux avaient été sellés par lui.

— Ah ! vous voilà réveillé, dit-il ; avez-vous passé une bonne nuit ?

— Excellente, seulement je me sens un peu engourdi ; je crois qu’un peu d’exercice me ferait du bien pour rétablir la circulation du sang.

— C’est l’effet de la rosée, répondit imperturbablement le chasseur, les nuits sont très fraîches.

— Diable ! pourvu que je n’attrape pas des rhumatismes ! dit en ricanant le lepero.

— Oh ! j’espère que non, le cheval vous fera du bien.

Tout en disant cela, don Fernando avait chargé son compagnon sur ses épaules et l’avait jeté en travers sur le cheval, mais, après réflexion faite, il lui