Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/319

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
315
LES CHASSEURS D’ABEILLES

avait détaché les jambes, ne voulant pas, par de mauvais traitements inutiles, indisposer contre lui un homme qui pouvait, à un moment donné, lui fournir d’utiles renseignements.

Le lepero, qui craignait de faire route attaché comme un ballot sur le dos du cheval, fut reconnaissant de la demi-liberté qui lui était rendue et ne fit aucune objection à la précaution prise par le chasseur de lui assujettir les jambes sous le ventre du cheval.

Ce fut de cette façon que les deux hommes voyagèrent jusqu’à leur arrivée au camp, causant entre eux de choses indifférentes et en apparence les meilleurs amis du monde.


XVI

AVANT LA CHASSE


Tout le temps que le récit de don Fernando avait duré, el Zapote avait affecté la pose nonchalante d’un homme parfaitement satisfait de soi-même, hochant affirmativement la tête à certains passages et souriant à d’autres d’un air de contentement modeste ; lorsque le jeune homme se tut enfin, il jugea à propos de prendre à son tour la parole.

— Vous voyez, señores, dit-il d’un accent conciliant, que je n’ai aucunement fait difficulté de suivre cet estimable caballero ; c’est dire que je suis prêt à vous obéir en tout ce qu’il vous plaira de m’ordonner.

Don Fernando sourit d’un air narquois.

— Voilà, répondit-il, cher seigneur, un compliment dont la surprise d’hier a changé évidemment l’adresse.

— Oh ! seigneurie ! fit le lepero avec un geste de dénégation indignée.

— Mais, reprit le jeune homme, je ne vous chicanerai pas là-dessus, peu m’importent vos dispositions secrètes à mon égard ; je crois vous avoir déjà suffisamment prouvé, depuis longtemps déjà, que je ne vous redoute en aucune façon ; je me contenterai pour mémoire de vous faire observer que, plus généreux que vous, plusieurs fois j’ai tenu votre vie entre mes mains, sans avoir jamais tenté de vous la ravir.

— Aussi, je vous en garde une profonde reconnaissance, seigneurie.

— Allons donc, señor Zapote, répondit don Fernando en haussant les épaules, vous me prenez pour un autre sans doute ; je ne crois pas plus à votre reconnaissance qu’à vos bonnes dispositions pour moi, aussi ne vous ai-je dit cela que pour vous donner à réfléchir, en ce sens que, si jusqu’à présent j’ai bien voulu vous pardonner, la somme de mansuétude que je pouvais dépenser à votre profit est complètement épuisée, et qu’à la prochaine occasion les choses se passeraient tout autrement entre nous.

— Je comprends parfaitement ce que vous me faites l’honneur de me dire, seigneurie, mais, grâce à Dieu, cette occasion, j’en ai la certitude, ne se pré-