Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/338

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
334
LES CHASSEURS D’ABEILLES

— Libre ! s’écria-t-elle avec explosion en se relevant tout à fait, est-ce possible, cela ? Oh ! mon père ! mon bon père, vous reverrai-je donc un jour ?

— Vous le reverrez bientôt, Hermosa, votre père est près d’ici avec don Estevan, Na Manuel a, tous ceux que vous aimez enfin !

— Oh ! fit-elle avec une expression impossible à rendre ; et, tombant à genoux, elle joignit les mains et adressa au ciel une longue et fervente prière.

Don Fernando la regardait avec une admiration respectueuse ; cette joie immense qui débordait sur le visage tout à l’heure si morne et maintenant si radieux de la jeune fille lui causait une émotion d’une douceur infinie ; il se sentait heureux comme jamais il ne l’avait été jusqu’à ce jour.

Doña Hermosa demeura longtemps en prière ; lorsqu’elle se releva ses traits étaient calmes.

— Maintenant, don Fernando, dit doña Hermosa d’une voix doucement timbrée, puisque, dites-vous, nous sommes libres, allons nous asseoir là, au dehors, et racontez-moi, dans tous ses détails, ce qui est arrivé depuis le jour où j’ai été si brusquement ravie à mon père.

Ils sortirent ; la nuit était douce et embaumée ; ils s’assirent côte à côte sur un tertre de gazon, et don Fernando commença le récit que lui demandait la jeune fille.

Ce récit fut long, car souvent il fut interrompu par doña Hermosa, qui faisait répéter plusieurs fois certains détails se rapportant à son père ; lorsque don Fernando se tut, le soleil se levait, la nuit entière s’était écoulée ainsi dans une douce causerie.

— À votre tour, señorita, dit en terminant don Fernando, à me raconter ce qui vous est arrivé.

— Oh ! moi, dit-elle avec un sourire enchanteur, ce mois s’est écoulé pour moi à souffrir en pensant aux absents que j’aime tant ; l’homme qui m’a si odieusement enlevée, je suis contrainte de lui rendre cette justice, m’a constamment traitée avec respect ; je n’ai eu à me plaindre d’aucune insulte, et même à plusieurs reprises, ajouta-t-elle en baissant les yeux sous le regard ardent du jeune homme, lorsqu’il me voyait trop triste, il cherchait à me consoler en me faisant espérer que bientôt peut-être je reverrais les personnes que j’aime et que je serais réunie à elles.

— La conduite de cet homme me semble incompréhensible, répondit don Fernando devenu rêveur ; pourquoi vous a-t-il enlevée si audacieusement, s’il devait vous rendre quelques jours après aussi facilement qu’il l’a fait ?

— Oui, répondit-elle, tout cela est étrange. Quel but se proposait-il en agissant ainsi ? Enfin, me voilà libre ; grâce au ciel, bientôt je reverrai mon père.

— Demain nous partirons pour l’aller rejoindre.

Doña Hermosa le regarda avec un étonnement mêlé d’inquiétude.

— Demain ! dit-elle ; pourquoi pas aujourd’hui, ce matin, à l’instant même ?

— Hélas ! répondit-il, j’ai juré de ne quitter ce lieu que demain ; ce n’est qu’à cette condition que le Chat-Tigre a consenti à vous rendre la liberté.

— C’est étrange ! murmura-t-elle : quelle raison peut avoir cet homme pour nous retenir ici ?