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LES CHASSEURS D’ABEILLES

L’arc de jais de ses sourcils, tracé comme avec un pinceau, relevait la grâce de son front un peu bas et d’une blancheur mate ; ses grands yeux bleus et pensifs, frangés de longs cils bruns, contrastaient harmonieusement avec ses cheveux d’un noir d’ébène qui se bouclaient autour d’un col délicat et sur lesquels des jasmins odorants se mouraient de volupté.

Petite comme toutes les Espagnoles de race, sa taille cambrée était d’une finesse, extrême ; jamais pieds plus mignons n’avaient foulé en dansant les pelouses mexicaines, jamais main plus délicate n’avait effeuillé les dahlias d’un parterre. Sa démarche nonchalante comme celle de toutes les créoles avait des mouvements ondulés et serpentins pleins de désinvolture et de salero, comme on dit en Andalousie.

Cette délicieuse jeune fille répandait la joie et la gaîté dans l’hacienda, dont les échos, du matin au’soir, répétaient amoureusement les modulations mélodieuses de sa voix cristalline, dont le timbre frais et pur faisait mourir de jalousie les oiseaux blottis sous la feuillée de la huerta.

Don Pedro idolâtrait sa fille, il éprouvait pour elle un de ces sentiments d’amour passionné et sans bornes dont ceux-là seuls qui sont pères dans la véritable acception du mot comprendront l’immense puissance.

Hermosa, élevée à l’hacienda, n’avait qu’à de longs intervalles fait de courtes apparitions dans les grands centres de la confédération mexicaine, dont elle ignorait complètement les mœurs ; habituée à mener la vie libre et sans entraves de l’oiseau, à penser tout haut, sa franchise et sa naïveté étaient extrêmes, sa douceur la faisait adorer de tous les habitants de l’hacienda, sur lesquels sa tendre sollicitude veillait sans cesse.

Cependant, par le genre même de l’éducation qu’elle avait reçue, exposée sur cette frontière éloignée à entendre souvent retentir à ses oreilles l’effroyable, cri de guerre des Peaux-Rouges, et à assister à des scènes de carnage, son cœur s’était accoutumé de bonne heure à envisager, sinon froidement, le péril, du moins avec un courage et une force d’âme qu’on aurait été loin d’attendre d’une si frêle enfant.

Du reste, l’influence qu’elle exerçait sur tous ceux qui l’approchaient était incompréhensible : on ne pouvait la connaître sans l’aimer et sans éprouver le désir de risquer sa vie pour elle.

À plusieurs reprises, dans des attaques tentées sur l’hacienda par les Apaches et les Comanches, ces féroces pillards du désert, des Indiens blessés étaient tombés entre les mains des Mexicains.

Dona Hermosa, loin de souffrir qu’on maltraitât ces malheureux, les avait fait soigner avec soin, puis, une fois guéris, leur avait rendu la liberté.

De cette façon d’agir il était résulté que les Peaux-Rouges avaient peu à peu renoncé à leurs attaques contre l’hacienda et que la jeune fille, accompagnée seulement d’un homme avec lequel nous ferons bientôt faire connaissance au lecteur, exécutait insouciamment de longues courses à cheval dans le désert et souvent, emportée par l’ardeur de la chasse, s’éloignait à de grandes distances de l’hacienda, sans que les Indiens qui la voyaient passer cherchassent à lui nuire ou seulement à entraver sa course : au contraire, ces hommes primitifs, qui avaient conçu pour elle une superstitieuse vénération,