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LES CHASSEURS D’ABEILLES

s’appliquaient, tout en demeurant invisibles, à éloigner de sa route les obstacles ou les dangers qui auraient pu l’entraver.

Les Peaux-Rouges, avec cette poésie native qui les distingue, l’avaient nommée le Papillon blanc[1], tant elle leur semblait légère et frêle lorsque, comme une jeune biche effarouchée, elle bondissait à travers les hautes herbes de la prairie, que le poids de son corps courbait à peine.

Un des buts de promenade les plus fréquents de la jeune fille était un rancho situé à environ cinq kilomètres de l’hacienda.

Ce rancho, bâti dans une charmante situation, entouré de terres bien entretenues et cultivées avec soin, était habité par une femme d’environ cinquante ans et son fils, grand et beau jeune homme de vingt-cinq à vingt-six ans, au regard fier et au cœur brûlant, nommé Estevan Diaz.

Na Manuela, ainsi qu’on appelait la vieille femme, et Estevan, avaient pour la jeune fille une amitié et un dévouement sans bornes.

Manuela avait nourri Hermosa de son lait et considérait presque sa jeune maîtresse comme son enfant, tant son attachement pour elle était grand.

Cette femme appartenait à cette classe de domestiques dont malheureusement pour nous la race est à tout jamais perdue en Europe, qui font pour ainsi dire partie de la famille et que leurs maîtres considèrent plutôt comme des amis que comme des serviteurs.

C’était sous l’escorte d’Estevan que Hermosa faisait ces longues promenades dont nous avons parlé plus haut ; ces continuels tête-à-tête entre une jeune fille de quinze ans et un homme de vingt-cinq qui, dans nos contrées si hypocritement collet monté, paraîtraient compromettantes, n’avaient rien que de fort naturel aux yeux des habitants de l’hacienda, qui savaient le profond respect et la loyale amitié qui liaient Estevan à sa jeune maîtresse, que tout enfant il avait fait sauter sur ses genoux et dont il avait dirigé les premiers pas.

Hermosa, rieuse, folle et taquine comme toutes les jeunes filles de son âge, trouvait un plaisir extrême dans la société d’Estevan, qu’elle pouvait tourmenter et agacer sans que jamais celui-ci essayât de se regimber contre un des caprices extravagants de la jeune fille et qui endurait ses taquineries avec une patience à toute épreuve.

Don Pedro témoignait à Manuela et à son fils une affectueuse amitié, il avait en eux la plus grande confiance, et depuis deux ans il avait confié à Estevan l’emploi important de mayordomo, emploi qu’il partageait, vu l’étendue de la terre, avec Luciano Pedralva, qui cependant était placé sous ses ordres.

Estevan Diaz et sa mère étaient donc, après le propriétaire, les personnages les plus considérés de l’hacienda, dans laquelle, non seulement à cause du poste qu’ils occupaient, mais encore à cause de leur caractère apprécié de tous, ils jouissaient d’une grande considération.

Les hacienderos mexicains, dont les propriétés sont d’une immense

  1. Le nom indien comanche, dont nous faisons grâce au lecteur, est Iztacpapalotzin, dont voici la racine : iztac, blanc ; papalotl, papillon, G. A.