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LES CHASSEURS D’ABEILLES

muets et semblaient glisser sur la terre comme des spectres, tant leurs pas étaient légers et silencieux.

Les Mexicains sont en général fatalistes ; le capataz, reconnaissant l’inutilité de ses efforts, prit philosophiquement son parti de ce qui lui arrivait et attendit patiemment le dénoûment de cette scène singulière.

Ce dénoûment ne se fit pas attendre longtemps : arrivés probablement à l’endroit qu’ils voulaient atteindre, les inconnus s’arrêtèrent et déposèrent le capataz sur le sol, puis tout redevint calme et silencieux autour du prisonnier.

Au bout de quelques minutes celui-ci, résolu à reconquérir sa liberté à tout risque, tenta un effort désespéré pour rompre ses liens.

Mais alors une surprise nouvelle lui était réservée : les cordes qui l’attachaient, si solides quelques moments auparavant, se rompirent après une légère résistance.

Le premier mouvement du capataz fut d’enlever le zarapé qui lui couvrait le visage et de se débarrasser de son bâillon.

Alors il regarda autour de lui avec une poignante anxiété, afin de se reconnaître et de savoir ce qu’étaient devenus ses compagnons.

Il poussa un cri d’étonnement et d’effroi ; doña Hermosa, son père et les peones, étaient étendus non loin de lui, garrottés comme il l’avait été lui-même et la tête enveloppée dans des zarapés.

Le capataz s’empressa de voler au secours de la jeune fille et de son père, puis il coupa les cordes qui attachaient les peones.

L’endroit où les voyageurs avaient été transportés par leurs invisibles agresseurs différait complètement du site choisi par eux pour établir leur camp.

Ils se trouvaient au centre d’une épaisse forêt dont les arbres gigantesques formaient a une hauteur prodigieuse, au-dessus de leurs têtes, des dômes de verdure presque impénétrables aux lueurs du jour.

Les chevaux et les bagages des voyageurs avaient disparu.

Abandonnés, sans vivres et sans chevaux, dans une forêt vierge, la position des voyageurs était affreuse ; tout espoir de salut leur était enlevé ; ils se voyaient condamnés à une mort horrible après des souffrances intolérables.

Le désespoir de don Pedro ne se peut décrire ; il reconnaissait, mais trop tard, combien sa conduite avait été folle ; ses yeux baignés de larmes se fixaient sur sa fille avec une expression de tendresse et de douleur indicibles, s’accusant tout bas d’être la seule cause du malheur qui les accablait.

Doña Hermosa, dans cette circonstance critique, fut la seule qui ne se laissa pas aller au désespoir ; après avoir, par de douces et consolantes paroles, cherché à rendre un peu de courage à son père, la première elle parla de quitter l’endroit ou l’on se trouvait et de tâcher de retrouver la route perdue.

La détermination qui brillait dans l’œil de la jeune fille ranima le courage de ses compagnons, et, s’ils ne reprirent pas espoir, du moins ils sentirent renaître en eux les forces nécessaires pour soutenir la lutte qui se préparait.