Aller au contenu

Page:Aimard - Les Chasseurs d’abeilles, 1893.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
LES CHASSEURS D’ABEILLES

Mexicain piqua des deux et s’éloigna rapidement pour rejoindre ses compagnons qui l’avaient devancé de quelques pas.

Le vieillard demeura immobile, les yeux fixés sur les voyageurs, jusqu’à ce que ceux-ci eussent enfin disparu dans la forêt ; alors il regagna le teocali en murmurant d’une voix sourde :

— M’aurait-il deviné ? Non, c’est impossible ; pourtant ses soupçons sont éveillés, j’ai manqué de prudence.

Cependant les voyageurs étaient entrés dans la forêt à la suite de Cœur-de-Pierre ; celui-ci marchait seul en avant, la tête basse et plongé en apparence dans de sombres réflexions.

Pendant près de deux heures ils s’avancèrent ainsi sans échanger une parole ; le chasseur marchait comme s’il eût été seul, ne s’inquiétant nullement de ceux qu’il guidait ; ne se donnant même pas la peine de tourner la tête vers eux pour s’assurer qu’ils venaient derrière lui.

Cette conduite n’étonnait que médiocrement l’haciendero, qui, d’après la façon dont la veille il avait fait connaissance avec le chasseur, s’attendait de sa part à certaines bizarreries de caractère ; pourtant il était intérieurement blessé de la froideur et de l’indifférence qu’affectait cet homme dont par sa conduite il avait cherché à se concilier la bienveillance : aussi ne fit-il aucune tentative pour l’amener à rompre le silence et à se montrer plus sociable.

Un peu avant midi, les voyageurs atteignirent une clairière assez vaste, au centre de laquelle jaillissait des fissures d’un rocher qui s’élevait en forme de pyramide, à une assez grande hauteur, une source d’une eau claire et limpide comme le cristal qui fuyait en un mince ruisseau à travers d’épaisses touffes de glaïeuls.

Cette clairière, ombragée par les voûtes feuillues des arbres gigantesques qui l’entouraient, offrait à des voyageurs fatigués un lieu de repos délicieux.

— Nous attendrons ici que la plus forte chaleur du soleil soit tombée, dit le guide en prenant la parole pour la première fois depuis son départ du teocali.

— Soit, répondit l’haciendero en souriant ; du reste, l’endroit ne pouvait être mieux choisi.

— Une des mules de charge porte des vivres et des rafraîchissements dont il vous est loisible d’user, si bon vous semble, ils ont été pris pour votre usage, répliqua-t-il.

— Et vous, ne nous tiendrez-vous pas compagnie ? lui demanda l’haciendero.

— Je n’ai ni faim ni soif, ne songez pas à moi, d’autres soins me réclament.

Jugeant inutile d’insister davantage, don Pedro mit pied à terre, puis il enleva sa fille dans ses bras et la déposa sur le gazon au bord du ruisseau.

Les chevaux furent entravés et chacun ne songea plus qu’à prendre quelques instants de repos.

Le Cœur-de-Pierre, après avoir silencieusement aidé les peones à décharger la mule qui portait les vivres et les avoir étalés devant don Pedro et sa fille, s’était éloigné à grands pas et s’était enfoncé dans la forêt.