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LES CHASSEURS D'ABEILLES

— Maintenant, il ne nous reste plus qu’à aller chacun à nos affaires.

— C’est juste ; de quel côté vous dirigez-vous ?

— Je me rends tout droit à l’hacienda de don Pedro de Luna.

— Croyez-moi, don Torribio, ne lui parlez de rien.

— Pourquoi me dites-vous cela, Verado ?

— Parce que don Pedro, bien que ce soit un excellent homme et un parfait caballero, a peut-être un peu les idées arriérées, et que probablement il chercherait à vous dissuader de votre projet.

— Vous pourriez avoir raison ; mieux vaut qu’il ignore le service que je veux lui rendre.

— Oui, oui, cela vaut mieux. Ainsi, don Torribio, à ce soir, alors.

— À ce soir, au Çallejon ; adieu et bonne chance !

Les deux hommes se séparèrent. Don Torribio Quiroga descendit à grands pas le chemin du pueblo pour aller reprendre sa monture chez le pulquero, à qui il l’avait confiée, tandis que le Verado, dont le cheval était caché aux environs, se mettait en selle et s’éloignait en galopant avec fureur, tout en grommelant entre ses dents serrées par la colère :

— Me tuer sans bruit ! A-t-on jamais-vu une idée pareille ! Nous verrons, mil rayos !


IX

DOÑA HERMOSA


Le Cœur-de-Pierre ne s’était pas trompé lorsqu’il avait annoncé à ceux qu’il guidait que la poussière soulevée au loin dans le désert l’était par des serviteurs de leur hacienda ; en effet, à peine le chasseur s’était-il éloigné depuis quelques minutes que le nuage de poussière qui se rapprochait rapidement se fendit tout à coup et laissa voir une nombreuse troupe de vaqueros et de peones bien armés qui accouraient de toute la vitesse de leurs chevaux.

À deux longueurs de cheval en avant galopait don Estevan Diaz, qui ne cessait de gourmander ses compagnons et de les exciter à redoubler encore la célérité de leur allure.

Bientôt les deux troupes se joignirent et se confondirent en une seule.

Estevan Diaz, ainsi que l’avait prévu don Pedro, s’était inquiété de l’absence prolongée de son maître ; redoutant qu’il ne lui fût arrivé malheur, il avait en toute hâte rassemblé les hommes les plus résolus de l’hacienda, et, se mettant à leur tête, il avait immédiatement commencé des recherches et exploré le désert dans toutes les directions.

Cependant, sans l’heureux hasard qui avait fait rencontrer aux voyageurs le Cœur-de-Pierre au moment où les forces et le courage leur manquaient à la fois, il est probable que ces recherches n’auraient produit aucun résultat et que les sombres annales de la prairie auraient enregistré une lugubre et horrible tragédie de plus.