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LES CHASSEURS D'ABEILLES

homme de longue date, que sa bonté était feinte et qu’elle cachait quelque infernale trahison.

Doña Hermosa était subitement devenue rêveuse.

— Don Estevan est un fou, dit-elle ; son amitié pour moi l’égare ; je suis convaincue qu’il se trompe. Mais tu me fais songer qu’à peine arrivée je me suis échappée sans lui adresser un mot de remerciement ; je veux réparer cet oubli involontaire. Est-il encore à l’hacienda ?

— Je crois que oui, señorita.

— Va t’en assurer, et, s’il ne s’est pas encore retiré, prie-le de me venir trouver.

La camériste se leva et sortit.

— Puisqu’il le connaît, murmura la jeune fille dès qu’elle fut seule, il faudra bien qu’il parle et qu’il m’apprenne ce que je veux savoir.

Et elle attendit impatiemment le retour de sa messagère.

Celle-ci semblait avoir deviné l’impatience de sa maîtresse, tant elle mit de hâte à s’acquitter de sa commission ; dix minutes à peine s’étaient écoulées depuis sa sortie lorsqu’elle annonça don Estevan.

Nous l’avons dit, don Estevan était un beau jeune homme, au cœur de lion, à l’œil d’aigle, dont les manières pleines de grâce et de désinvolture décelaient la race.

Il entra en saluant la jeune fille avec une familiarité de bon goût autorisée par ses longues et intimes relations avec elle, puisqu’il l’avait pour ainsi dire vue naître.

— Ah ! Estevan, mon ami, lui dit-elle en lui tendant joyeusement la main, je suis bien heureuse de vous voir ; asseyez-vous et causons.

— Causons, répondit le jeune homme en s’associant avec joie à la gaîté de doña Hermosa.

— Donne un siège à Estevan, chica, et va-t’en, je n’ai pas besoin de toi.

La camériste obéit sans répliquer.

— Oh ! que j’ai de choses à vous dire, mon ami ! reprit la jeune fille.

Estevan Diaz sourit.

— D’abord, continua-t-elle, excusez-moi de m’être échappée ; j’avais besoin d’être seule afin de remettre un peu d’ordre dans mes idées.

— Je comprends cela, ma chère Hermosa.

— Ainsi, vous ne m’en voulez pas, Estevan ?

— Pas le moins du monde, je vous assure.

— Bien vrai ? fit-elle avec une petite moue semi-sérieuse.

— Ne parlons plus de cela, je vous en prie, ma chère enfant ; on n’est pas exposé à des dangers comme ceux que vous avez courus sans que l’esprit s’en ressente longtemps après.

— Oh ! maintenant, c’est fini, je vous assure ; d’ailleurs, entre nous, mon bon Estevan, ces dangers n’ont pas été aussi grands que votre amitié pour moi vous le fait supposer.

Le jeune homme hocha la tête d’un air peu convaincu.

— Vous vous trompez, niña, dit-il, ces dangers ont été, au contraire, beaucoup plus sérieux que vous ne sauriez le croire.