Page:Aimard - Les Flibustiers de la Sonore, 1864.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Sandoval. Un crime commis ici ! au milieu de nous, nous déshonore tous, s’il reste impuni. À moi, messieurs, et emparons-nous des coupables… ! Seigneur alcade, je réclame main forte. (Tous les compagnons d’Horace se précipitent vers lui et l’entourent ; les Mexicains profitent de ce mouvement pour disparaître avec Guerrero et Angela évanouie.)

Guerrero. Allons ! la partie n’est pas perdue ! (Il fuit.)

De Sauves Voici une bague trouvée au fond de la coupe, et voici les mots écrits sur cette bague : Carmen d’Aguilar, Mexico, 15 avril 1842.

Tigrero. Carmen !… la sœur de don Luis… ! (regardant autour de lui) don Luis en fuite… ! Je comprends tout. (Horace retombe épuisé sur le divan ; sont groupés autour du moribond, de Sauves, une main sur le cœur, interroge le mal ; Curumilla, agenouillé à son chevet, le regarde avec une profonde attention.)



ACTE IV


Tableau VIII

Le Rancho.

Un rancho en ruines dans une forêt. — La nuit. — Clair de lune.



Scène I

TIGRERO, SIMON, plusieurs Aventuriers.

Simon. Un rancho en ruines, un lieu désert, la nuit, voilà ce qu’il faut.

Tigrero. A-t-on placé des sentinelles partout où je l’ai indiqué ?

Simon. Partout ; on leur a donné le mot d’ordre : Espérance, Patrie.

Tigrero. Avez-vous battu le bois ?

Simon. Dans tous les sens ; nous sommes seuls.

Tigrero. Allumez des torches ! Faites entrer don Luis.



Scène II

Les Mêmes, CARMEN qui a repris le costume de don Luis.

Carmen. Devant qui m’amenez-vous ?

Tigrero. Devant vos juges.

Carmen. En vérité, messieurs, m’expliquerez-vous cette lugubre comédie ?

Tigrero Vous avez pris la fuite après l’infâme attentat commis sur notre chef, le comte Horace d’Armançay. On vous a poursuivi et l’on s’est emparé de vous sur la route qui mène au Tépic.

Carmen Je n’ai pas, je pense, à rendre compte de mes actions ou de mes fantaisies.

Tigrero Étrange fantaisie que celle qui vous conseille la fuite le jour même où le comte…

Carmen Messieurs, je sais ce que vous voulez, je sais pourquoi je suis ici. On a trouvé dans la coupe fatale une bague ouverte et sur cette bague on a lu le nom de Carmen d’Aguilar, avec la date de son mariage, car cette bague était son anneau conjugal. Je passe parmi vous pour être le frère de Carmen, et ma disparition le jour même des fiançailles du comte vous a paru être comme l’aveu indirect d’un crime, vous êtes ici pour me condamner si je suis coupable, je suis ici pour répondre à une accusation. J’y répondrai, mais j’ai d’abord une question à vous adresser.

Tigrero Parlez.

Carmen Le comte Horace a-t-il succombé ?

Tigrero Vous savez bien que le suc de l’upas ne pardonne jamais.

Carmen, à part. Hélas !

Tigrero Quand nous nous sommes éloignés d’Hermosillo, le comte, de l’aveu même de de Sauves n’avait pas une demi-journée à vivre ! Je l’ai vu, mon noble Horace, mon frère, pâle, défiguré, muet, l’œil fixe et l’écume de l’agonie sur les lèvres. Mon frère, mon pauvre frère ! Oh ! mais tu seras vengé, et c’est moi qui frapperai l’assassin.

Carmen Eh bien, frappe ! car je déteste mon crime autant que tu le hais, et je ne veux pas survivre à ma victime. Frappe, Tigrero, la mort me sera douce, car ma mort expiera ma vie. Frappe au cœur et fais vite. J’ai honte de moi-même, j’ai besoin d’oublier, j’ai hâte de ne plus souffrir, j’ai soif du repos de la tombe, frappe !

Tigrero C’est toi qui l’a tué ?

Carmen Oui !

Tigrero Pourquoi ?

Carmen Qu’importe la cause du crime.

Tigrero As-tu des complices ? nomme-les ?

Carmen Mes complices ! Ah ! ils sont insaisissables, c’est mon cœur, c’est mon amour, c’est ma vie brisée, c’est mon espoir évanoui… Ah ! j’en dis trop ! Frappe ! mais frappe donc !

Tigrero Compagnons, que décidez-vous de ce misérable !

Tous Qu’il meure ! qu’il meure !

Tigrero, s’emparant de Carmen. Viens donc, et que mon frère soit vengé.

Une voix, à la cantonade. Qui Vive !

Une autre voix Envoyé du comte.

Tous Le comte !

Don Luis Il vivrait !



Scène III

Les Mêmes, CURUMILLA.

Tigrero Curumilla ! Qu’ai-je entendu ! tu as dit envoyé du comte Horace d’Armançay ?

Curumilla Les poisons indiens sont mortels pour les visages pâles, mais le fils des prairies a surpris les secrets de la nature et le grand esprit le conseille.

Tigrero Et tu as sauvé mon frère ! Et mon frère vivrait ?…

Curumilla Le chef a déjà repris le sentier de la guerre. Voici ses ordres.

Tigrero, ouvrant un papier plié en quatre et lisant. « Compagnons, je suis debout. La mort a passé sans laisser de traces. Je pars pour retrouver Angela et pour punir le vrai coupable. Quant à Carmen, épargnez-la, car sachez que don Luis c’est Carmen elle-même à qui je pardonne, et que je veux oublier. » (parlé.) Carmen ! Carmen ! est-ce donc ainsi que vous l’avez aimé ? (Carmen baisse la tête et cache ses pleurs de ses mains.) Madame, vous êtes libre.

Carmen Puisqu’il vit, je dois vivre et me racheter par le sacrifice et par le dévoûment. Adieu, vous tous, adieu ! vous ne me reverrez que si la mort se dresse encore une fois devant lui. (Elle s’éloigne.)

Tigrero Que Dieu l’accompagne dans son repentir. Et maintenant chef, quelle direction prendre pour rejoindre le comte.

Curumilla Le comte est sur les traces de Guerrero. Il est parti seul avec mon frère le médecin et un autre de ses compagnons.

Tigrero De Sauves et Arthur, sans doute !

Simon Trois seulement dans une forêt pleine d’embûches, d’Indiens pillards et des hommes de Guerrero ! Il faut à tout prix retrouver le comte et nous joindre à lui… nous sommes six hommes déterminés.

Curumilla Guerrero a cent hommes avec lui. Il a choisi pour camper cette nuit le rancho que vous occupez… je ne le précède que de cent traits de flèches, et Guerrero, le visage pâle aux appétits de chacal, a repris courage. Il veut rentrer dans Hermosillo.

Pierre, accourant. Une troupe en armes et nombreuse s’approche de ce côté.

Tigrero C’est lui, c’est Guerrero. Mes amis, nous allons nous disperser et sortir par cette brèche, chacun de nous suivra un des sentiers de la forêt, sans s’éloigner de plus d’un mille et faisant ensuite un détour à angle droit sur sa gauche, marchera la valeur d’un quart de mille, puis reprendra la direction de la Roche-Blanche qui est à cent pas d’ici, de façon à battre toute la forêt par une large circonférence et dans un temps très-court. Le premier de nous qui rencontrera ! c capitaine le ramènera. Allez ! — Curumilla précède-moi… ton œil devine une piste sous une feuille pliée, dans un brin d’herbe couché, dans le cri lointain d’une panthère qui flaire le vent, il faut trouver Horace, et le détourner de cette recherche insensée. Viens ! (Tous se dispersent et s’éloignent dans la forêt. On voit paraître aussitôt Sandoval accompagné de Cornelio et de quelques soldats d’avant-garde.)



Scène IV

GUERRERO, SANDOVAL, CORNELIO, ANGELA, Hommes de l’escorte

On voit passer Guerrero et Angola, tous deux à cheval, qui disparaissent derrière le rancho.

Sandoval, ouvrant la porte du rancho à gauche. Par ici, señorita, vous serez là à merveille pour passer quelques heures.

Guerrero, reparaissant et allant à Cornelio. Cornelio, j’établis là