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calumets et se mettre en devoir de fumer, prit dans sa poche du tabac et une feuille de paille de maïs, et après avoir tourné un pajillo avec cette habileté que possèdent seuls les hommes de race espagnole, il savoura consciencieusement la fumée bleuâtre de son excellent tabac de la Havane, costa abajo.

Un assez long espace de temps s’écoula ainsi sans qu’une seule parole fût échangée entre les assistants.

Peu à peu les rangs des Peaux-Rouges s’éclaircissaient ; les uns après les autres, à de courts intervalles, ils se roulaient dans leurs couvertures, s’étendaient les pieds au feu, et presque aussitôt ils s’endormaient.

Fray Antonio, accablé par les poignantes émotions de la journée et par les fatigues énormes qu’il avait éprouvées, aurait bien, s’il l’eût osé, imité les Indiens, car il sentait ses yeux se fermer malgré lui, et avait des peines inouïes à lutter contre le sommeil qui le gagnait.

Enfin l’Indien qui, seul jusqu’à ce moment, lui avait adressé la parole, parut s’apercevoir de son état de somnolence et avoir pitié de lui.

Il se leva, alla prendre une couverture de cheval, et l’apportant au moine :

— Que mon père s’enveloppe dans cette fressada, lui dit-il en se servant du mauvais espagnol dont jusque-là il avait usé ; les nuits sont froides, mon père a beaucoup de sommeil ; il dormira plus chaudement. Demain, un chef fumera avec mon père le calumet en conseil. Le Renard-Bleu désire avoir un entretien sérieux avec le chef de la prière des Visages-Pâles.