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LES FRANCS TIREURS

Cependant les officiers ne se dissimulaient nullement la gravité de leur position, que la manœuvre hardie du brick compliquait encore et rendait à chaque seconde plus précaire ; ils se multipliaient pour rendre un peu de courage à tous ces individus que la terreur affolait, et les engager à vendre chèrement leur vie.

Un nouvel incident vint encore, tout à coup, rendre, s’il est possible, plus critique et plus désespérée la situation du navire.

Le commandant Rodriguez n’avait pas quitté son banc de quart. Immobile à son poste pendant les événements que nous avons rapportés, il avait continué à donner ses ordres d’une voix ferme, sans paraître remarquer les symptômes de désobéissance qui, depuis la catastrophe arrivée à la corvette, se manifestaient parmi les hommes de l’équipage.

Le front pâle, les sourcils froncés, les lèvres serrées, le vieux marin jouait machinalement avec la poignée de son sabre, jetant par intervalles un regard froid et résolu autour de lui, tout en excitant ses officiers à redoubler d’efforts et à faire bravement leur devoir.

Doña Mencia et les deux officiers supposés de la marine américaine se tenaient silencieux et attentifs auprès de lui, attendant probablement le moment d’agir ; au tumulte qui s’était soudain élevé sur le gaillard d’avant, tous trois avaient tressailli et s’étaient encore rapprochés du commandant.

Lorsque le brick en virant de bord avait si adroitement coupé le mât de beaupré de la Libertad, Ramirez et ses matelots avaient été les premiers à semer et à propager la terreur parmi l’équipage en