Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/145

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courbé en bec d’aigle, ses pommettes saillantes, ses joues creuses, sa longue moustache rousse retombant sur sa bouche largement fendue et garnie de dents blanches et larges comme des amandes, son menton caché sous une énorme impériale fauve, lui allongeant démesurément le visage, tous ces traits réunis formaient à ce vieux soldat une de ces physionomies à la fois énergiques, résignées et bon enfant, dont le type essentiellement caractéristique appartient particulièrement à notre armée d’Afrique.

Moucharaby avait quarante-cinq ans ; il avait été enfant de troupe et n’avait pas d’autre famille que le régiment dans lequel il avait été élevé et que jamais il n’avait quitté.

— Quand tu auras pansé Roustan, lui dit le médecin en se détournant comme pour rentrer dans la maison, tu monteras Bajazet et tu porteras cette lettre à M. Salneuve.

Et il lui remit un large pli, que le soldat posa près de lui sur l’appui d’une fenêtre.

— Oui, major — Moucharaby n’appelait jamais autrement le docteur — attendrai-je la réponse ?

— Certes, je te recommande même de faire diligence.

— À quelle heure dois-je être de retour, major ?

— À dix heures, si cela est possible.

— Je le crois que c’est possible ! huit lieues aller et retour, qu’est-ce que cela pour Bajazet, une promenade ; je n’aurai pas besoin de le presser, le pauvre vieux !

— C’est précisément pour que tu ne fatigues pas Bajazet que je te laisse trois heures. Tu te feras donner un verre de cognac par Picahandia avant de partir, mais pas d’absinthe à Bayonne !

— Compris, major. Soyez calme. L’absinthe et moi brouillés à mort ; inconnue à l’escadron, désormais ; depuis trois mois, je n’ai pas absorbé, sauf respect, ce qui entrerait dans l’œil d’un colimaçon.

— À la bonne heure je suis content de toi ; continue ainsi, tu t’en trouveras bien.