Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/24

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achevé de remplir le verre, était allé nonchalamment se placer derrière son camarade.

— C’est bien, reprit l’homme, à quel endroit du jardin as-tu creusé cette fosse ?

— Au milieu de la pelouse, mon colonel.

— Tiens prends, ceci est pour toi.

Et il lui jeta une bourse que le matelot reçut au vol, avec le sourire ignoble de l’avarice satisfaite.

— Croche ! murmura l’inconnu.

Au même instant Sébastian laissa tomber ses mains sur les épaules de son camarade et les lui serra autour du cou ; celui-ci était un homme vigoureux ; bien que pris à l’improviste, il essaya de se défendre, mais il avait affaire à plus fort que lui ; malgré tous ses efforts, il ne réussit pas à se débarrasser de l’horrible étreinte ; ses traits se décomposèrent, ses yeux roulèrent effarés dans leurs orbites, son visage devint d’un rouge ardent, il poussa un râle affreux. Sébastian desserra enfin les mains, le misérable fossoyeur tomba comme une masse sur le sol, il eut un dernier frémissement et il ne remua, plus ; il était mort.

— Emporte ! ordonna l’inconnu, de sa voix incisive et railleuse.

Le matelot chargea sur ses épaules le cadavre de l’homme qu’il avait tué et sortit de la salle, de l’air le plus insouciant.

L’inconnu, toujours impassible, fit légèrement pirouetter sa chaise et, s’adressant à la malheureuse jeune femme, sombre et digne et qui avait conservé sa pose de statue, malgré l’effroyable assassinat commis devant elle, il lui dit en retirant un papier de son portefeuille et le lui présentant avec un sourire amer :

— Voici le double de l’acte que vous avez déchiré, madame ; consentez-vous maintenant à le signer ? Ce que vous avez vu vous a-t-il fait réfléchir ?

— Oui, répondit-elle d’une voix brève.

— Ainsi vous consentez ! s’écria-t-il avec un mouvement involontaire de joie.