Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/25

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Un sourire d’écrasant mépris plissa pendant une seconde les commissures des lèvres pâlies de la jeune femme.

— Après ce que j’ai vu, monsieur, répondit-elle avec une tristesse ineffable, j’ai la douloureuse conviction que quand même je consentirais à ce que vous voulez exiger de moi, vous me tueriez ; je suis pour vous un témoin trop gênant, mieux vaut pour moi mourir tout de suite.

Et elle avança le bras pour prendre le verre.

— Buvez donc, puisque telle est votre volonté, dit-il avec un sourire d’une expression singulière.

La jeune femme lui lança un regard devant lequel il baissa le sien, et saisissant le verre sans que sa main tremblât, elle le porta à ses lèvres et le vida d’un trait.

— Vous regretterez un jour, avec des larmes de sang, ce meurtre odieux et inutile, dit-elle avec un accent de pitié qui donnait à sa voix mélodieuse des harmonies étranges ; je meurs innocente, et vous le savez bien ; adieu ! je vous pardonne !

Et la jeune femme tomba plutôt qu’elle ne s’assit sur la chaise.

— Merci ; mais ne vous hâtez pas trop de me pardonner, madame, dit-il avec un ricanement de chacal, ce que vous avez bu ne vous fera pas mourir.

— Oh ! que voulez-vous dire, bégaya-t-elle en portant les mains à son front alourdi ; je ne mourrai pas !

— Non ; pas tout de suite du moins. Vous avez bu non du poison, mais un narcotique puissant. Vous ne vous réveillerez que dans la tombe ! Votre mort eût été trop douce par le poison. Je veux, moi, que vous appeliez longtemps la mort avant qu’elle daigne vous répondre.

— Oh ! s’écria-t-elle, vous êtes un infâme !

— Non, répondit-il, vous me ruinez, je me venge ! et il éclata d’un rire de chacal.

La jeune femme essaya de parler encore, mais elle n’en eut pas la force, le narcotique pris à haute dose agissait déjà et la paralysait ; ses yeux se fermèrent, elle se renversa sur sa chaise et demeura immobile.