Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris.djvu/427

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tesse. Une inconcevable fatalité semble peser sur moi rien ne me réussit depuis quelque temps. Le hasard, ce matin, me mit en présence de Julian et de son ami. Tous deux, sans que j’en fusse avertie et ignorant sans doute qu’il s’agissait de moi, étaient venus à mon secours en compagnie de civicos amenés par mon intendant. Il y eut reconnaissance mutuelle. Mes ennemis étaient détruits, en fuite, que sais-je ? Je me mis en route pour me rendre ici, où je savais être attendue avec impatience. Les deux chasseurs marchaient près de moi ; nous causions. Je ne sais comment cela se fit, quelle parole je laissai échapper qui déplut à Julian…

— Oh ! ce n’est pas possible s’écria Denizà en lui prenant la main et la lui serrant affectueusement.

— Mon Dieu ! je ne sais… Je m’accuse, ma toute belle, pour justifier Julian, que je ne veux pas accuser. Hélas ! il a tant souffert, depuis quatorze ans, que je ne saurais lui conserver rancune. Il est devenu sombre, susceptible, presque atrabilaire ; le moindre mot le froisse, une innocente plaisanterie le blesse. Je n’avais pas compris cela tout d’abord, moi qui suis restée rieuse et un peu folle, comme je l’étais jadis. Et cependant, j’ai subi bien des déboires, supporté bien des douleurs ; je prenais peut-être un peu trop de plaisir à taquiner Julian, à donner le change à son impatience, à dérouter ses prévisions. Que voulez-vous ? Je tenais à ce que cette surprise, depuis si longtemps préparée, fût complète je me faisais une fête de voir sa joie lorsqu’il vous reconnaîtrait. Julian ne disait rien, mais il souffrait ; je m’en aperçus trop tard. À une demi-lieue d’ici, je fis halte pour congédier mon escorte de civicos ; puis je continuai ma route. Je causais avec don Cristoval. Tout à coup, je cherchai des yeux les deux chasseurs, je les appelai, ils étaient partis, depuis longtemps déjà, sans rien dire.

— Oh mon Dieu ! s’écria douloureusement Denizà, encore un espoir trompé !

— Courage, Denizà, mon enfant, dit le docteur avec affection.