Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/301

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Le temps était très froid, mais la lune brillait et éclairait presque comme en plein jour.

Le rôdeur, emporté par la rapidité de sa course, buta contre la jambe du Loupeur, et tomba tout de son long sur le sol durci du pont.

— Prends garde de t’épater, fiston ! cria le Loupeur en goguenardant.

D’un bond il se rua sur l’homme renversé et lui appuya le genou sur la poitrine, en disant avec un rire railleur :

— Je crois que c’est toi qui va la danser et aller boire avec les poissons.

— Oh ! la bonne blague ! s’écria tout à coup le rôdeur en éclatant de rire ; comment, c’est toi, Loupeur ? Ah ! bien ! vrai ! je la trouve mauvaise, par exemple !

— Hein ? dit le Loupeur en examinant son agresseur sous le nez, ce qu’il n’avait pas jusqu’à ce moment songé à faire. Comment, c’est toi, Fil-en-Quatre ? s’écria-t-il avec surprise, tu voulais me suriner ! Allons, relève-toi ; ramasse tes quilles. Nous allons causer un brin, mon homme.

Et il lui tendit la main pour le remettre sur ses pieds.

— Moi, suriner un vieux, un camaro ! jamais de la vie ! Ah ! elle est bonne celle-la ! Si j’avais su que c’était toi !… mais c’est égal, tu as rudement bien fait d’allonger ta guibolle, tout d’même ; sans ça, ça y était carrément !… Ah ! tu vas me l’payer, vieux birbe ! y a pas de soin ! m’faire buter un ami, merci, n’vous gênez pas, pus qu’ça de genre ; sois calme, mon bonhomme, j’te r’pincerai au demi-cercle.

— Ah ça, as-tu bientôt fini tes histoires ? Après qui en as-tu ? Il fait un frisquet à ne pas conduire un roussin à l’abreuvoir, jouons la fille de l’air, et que ça ne traîne pas !

— C’est vrai ; t’as raison, vieux. Décarrons et plus vite que ça.

Là-dessus les deux hommes, comme si rien d’extraordinaire ne s’était passé entre eux, se remirent en marche en allongeant le pas.