Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/41

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— Je reprends, monsieur. Le colonel de Garmandia était non seulement un officier du plus haut mérite, mais encore un bon compagnon, grand et beau joueur ; aussi, officiers et soldats, tout le monde l’adorait dans le régiment. Lorsque je me présentai à lui à mon arrivée, il me fit le plus chaleureux accueil : il connaissait ma famille de nom, il me savait riche. Je devins en peu de temps son favori ; du reste, je dois confesser que nos rapports furent toujours excellents tant que je demeurai sous ses ordres. Nous étions revenus depuis deux ou trois jours d’une longue et fatigante campagne en Kabylie ; un matin, le vaguemestre remit au colonel une lettre de France. J’étais présent lorsque cette lettre arriva ; elle parut produire une vive émotion sur lui, il semblait en proie à une vive colère ; il prononçait en langage basque des mots entrecoupés que je ne comprenais pas, mais qui, par l’intonation qu’il leur donnait, devaient être des menaces et des imprécations. Il froissa la lettre dans ses mains crispées, et finalement il la brûla. Cependant, peu à peu il se remit, et même il parut ne plus y penser ; il alla jusqu’à rire avec moi de son emportement, qui, me dit-il, n’avait pas le sens commun, et il ne fut plus question de cet incident, qu’il traitait de ridicule. Le colonel de Garmandia possédait une des plus belles santés de l’armée : rien n’avait prise sur lui, ni le chaud, ni le froid, ni la fatigue, ni les privations ; il se riait de tout, et quand un officier était malade, il le traitait de soldat à l’eau de rose. Je fus donc très étonné lorsque le lendemain de la scène dont je vous ai parlé, au rapport, le lieutenant-colonel nous annonça que le colonel se trouvant indisposé, et ayant obtenu un congé de convalescence d’un mois, il prenait le commandement du régiment. Cette subite indisposition, que je rattachai malgré moi à la lettre reçue la veille, m’inquiéta. Je vous l’ai dit : j’aimais beaucoup le colonel, dont j’avais toujours eu à me louer, et dont, malgré la différence de nos grades, j’étais devenu l’ami. Je résolus d’en avoir le cœur net, d’aller le voir et de savoir ainsi si cette maladie était sérieuse ou non. Je