Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cœur lui disait sans doute que je n’étais pas morte ! Elle m’embrassait, elle m’appelait avec des sanglots convulsifs, et moi je restais froide, inerte, paralysée, morte enfin ! Le désespoir de mon impuissance me tordait le cœur dans des souffrances sans nom !

» Vanda me couvrit de feuilles ; toute la nuit elle pleura. Le matin du deuxième jour, elle s’agenouilla près de moi ; elle adressa à Dieu une fervente prière, enleva les feuilles qui recouvraient mon visage ; elle m’appela encore une fois, m’embrassa à plusieurs reprises, puis elle remit pieusement les feuilles, et elle s’éloigna enfin en sanglotant. Chaque pas du cheval retentissait dans mon cœur et le brisait ! Tout à coup je n’entendis plus rien ; l’énergie qui jusque-là m’avait soutenue m’abandonna subitement ; je tombai dans un anéantissement complet ; cette fois, je crus mourir ! Je remerciai Dieu de mettre enfin un terme à ces effroyables douleurs ; malheureusement, il n’en fut rien.

» Le lendemain, au moment où je commençais à revenir à moi, le hasard amena un bandit, ami de mon mari, près de l’endroit où j’étais ; il me sauva et me ramena près de lui, dans une grotte ignorée de la sierra de Pujarros. Ce fut alors seulement que j’appris, avec un indicible horreur, ce qu’était véritablement l’homme que j’avais épousé, et que j’aimais, hélas ! de toutes les forces de mon âme.

» J’avais à peine quinze ans lorsqu’il me demanda à mes parents ; il se dit gambucino, et se fit passer pour Espagnol. Il paraissait riche ; mes parents m’engagèrent à l’accepter pour mari : moi je l’aimais, je consentis.

— Il vous mentait, pauvre enfant ! et il vous rendit malheureuse ; c’est hélas ! notre lot, à nous autres femmes, de quelque pays que nous soyons, murmura tristement la comtesse.

— Non ; au contraire, jusqu’au jour où notre maison fut incendiée et pillée par des bandits, je fus la plus heureuse des femmes. Il m’aimait avec passion ; moi, je l’aimais de même ; je ne lui reprochais que ses longues absences et ses courtes et rares visites ; mais il me donnait n’im-