Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris II.djvu/437

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fut une épouvantable torture de chaque minute, de chaque seconde. Souvent ce bandit me contraignait à assister à des scènes de meurtres et à d’ignobles orgies : il avait complètement jeté le masque et se montrait à moi dans toute sa hideur ; plusieurs fois il faillit m’assassiner. J’ignorais alors pourquoi il m’épargnait ; je le sais aujourd’hui : voilà pourquoi je viens vous implorer, madame.

— Que voulez-vous dire, madame ?

— Écoutez-moi, je vous en supplie, madame, fit-elle avec prière ; il faut que vous sachiez tout. Il y a un an, après une longue absence dont jamais je n’ai connu les motifs, cet homme fréta un navire aux Angeles ; il chargea dessus le fruit de ses immenses rapines, et il partit pour l’Angleterre en m’emmenant avec lui. Il ne séjourna que très peu de temps à Londres, qu’il me contraignit de quitter avec lui. Il se rendait à Paris ; je l’y suivis. Il prit un nom d’emprunt et se fit passer pour un grand d’Espagne.

» Je ne sais quel moyen il a employé, mais il a réussi à se faire recevoir à l’ambassade Espagnole où il est très considéré ; tout le monde croit qu’il est réellement ce qu’il paraît être. Mais cet homme si fort, si cruel, auquel rien ne résiste, qui brise sans pitié tout ce qui ose se dresser devant lui, a des nuits effroyables ; il a des cauchemars affreux ; il redoute de rester seul et sans lumière dans sa chambre à coucher ; il m’oblige à coucher sur un lit dressé près du sien avec ordre de l’éveiller aux premiers mots qui lui échappent pendant son sommeil.

— Il parle ! s’écria nerveusement la comtesse ; n’avez-vous rien entendu, madame ?

— Peu de choses ; presque toujours il parle en français, et je ne comprends pas cette langue ; cependant j’ai réussi à découvrir ceci : vous avez sauvé ma fille ; il compte sur mon amour maternel pour l’aider à vous l’enlever ; car ce monstre, chose horrible, incroyable, aime sa fille avec passion, avec frénésie.

— Oh ! malheureuse enfant ! s’écria la comtesse avec épouvante, la livrer à ce misérable, ce serait effroyable !