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Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/222

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derait pas à être complètement noyée sous la pression puissante des vapeurs alcooliques.

— Vous avez raison, Lucy, dit-il tout à coup d’une voix sourde et à peine articulée en s’arrêtant brusquement devant elle ; il faut en finir !

— J’attends, répondit-elle avec un accent glacé en se levant majestueuse et fière du fauteuil où, jusqu’à ce moment, elle était restée assise.

Il poussa un cri d’admiration en la voyant si belle, chancela comme s’il allait tomber. Un frisson courut dans tout son corps et son visage devint livide.

— Asseyez-vous, lui dit-il d’une voix douce et presque humble en complétant ces deux mots par un geste.

— Non, répondit-elle sèchement, je resterai debout ; je préfère vous entendre ainsi.

Il y eut un court silence.

Sans affectation, la jeune fille se rapprocha négligemment du guéridon placé, du reste, assez près du fauteuil dont elle s’était levée.

M. de Montréal ne remarqua pas ce mouvement de la jeune fille.

Il réfléchissait.

Un travail se faisait dans sa tête bourrelée pour rassembler ses idées, qu’il sentait lui échapper davantage à chaque instant.

— Lucy, reprit-il enfin de cette voix douce qu’il avait déjà employée ; avez-vous gardé le souvenir des jours de votre enfance, lorsque je vous rencontrai par hasard, errant à l’aventure, le visage baigné de larmes à travers les rues de New-York, implorant en vain la pitié des passants pour votre mère et vos sœurs et frères, qui se mouraient sous le dur aiguillon de la faim ?

— Je n’ai rien oublié de ce dont je dois me souvenir, monsieur, répondit-elle avec une fierté triste. J’avais onze ans, alors, monsieur, vous avez été bon et généreux pour ma famille et pour moi. J’ai précieusement conservé dans mon cœur reconnaissant le souvenir de vos bontés, et même, en ce moment, malgré ce qui s’est passé, ce