Page:Aimard - Les Peaux-Rouges de Paris III.djvu/223

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sentiment de pieuse reconnaissance combat encore en moi pour vous, quand je songe à ce passé, qui me fit si heureuse, après tant de cruelles douleurs imméritées.

— Bien vrai ! s’écria-t-il avec un élan de joie.

— Je ne mens jamais, ne le savez-vous pas, monsieur ? répondit-elle sèchement.

— C’est vrai, murmura-t-il en se parlant à lui-même.

Il passa la main sur son front, sembla faire un effort, et il reprit avec une hésitation qui malgré lui faisait trembler sa voix.

— Je quittai New-York, dit-il ; plusieurs années s’écoulèrent ; plus tard, bien plus tard, je vous ai revue : l’enfant avait disparu ; le bouton était devenu fleur ; vous étiez une jeune fille. À la vue de votre admirable beauté, je sentis battre mon cœur à briser ma poitrine, et… je sentis mon affection pour vous se changer en un amour brûlant, fou, désespéré…

— Monsieur de Montréal ! s’écria-t-elle, vous insultez une femme, une jeune fille que, plus que tout autre, l’honneur vous ordonne de respecter.

— Est-ce donc vous insulter, Lucy ? reprit-il avec une animation fébrile, que vous dire que vous êtes belle ! oh ! bien belle !… et vous avouer que je vous aime ?

— Monsieur… de gràce !…

— Vous m’entendrez, Lucy, il le faut ; toute équivoque doit cesser entre nous ; d’ailleurs ne m’avez-vous pas vous-même invité à parler ?

La jeune fille tressaillit, elle porta vivement la main à son cœur comme si elle se sentait défaillir ; mais soudain, elle se redressa fière et hautaine, en même temps qu’un sourire d’une expression étrange se jouait sur ses lèvres.

— Soit, reprit-elle avec une résolution froide ; soit, parlez, monsieur, non seulement je puis, mais encore je veux tout entendre.

— Cet amour fatal, reprit-il avec une émotion profonde, je voulus le maîtriser, l’arracher de mon cœur. Oh ! croyez-moi, Lucy, je le combattis avec désespoir ;