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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

puisque le peu qu’ils possédaient répondait de la sûreté de leur fret, et qu’il s’agissait pour eux d’être complétement ruinés s’ils étaient dépouillés en chemin.

La conducta s’avançait dans le meilleur ordre, au bruit des grelots de la nena : les arrieros chantaient gaiement à leurs mules, en les excitant par leur éternel : Arrea, mula ! arrea, linda !

Les banderoles attachées au fer des longues lances des dragons flottaient, agitées par la brise du matin, et le capitaine prêtait insoucieusement l’oreille au babil du moine, tout en jetant par intervalle des regards scrutateurs sur la plaine déserte.

— Allons, allons, fray Antonio, dit-il à son gros compagnon, vous ne devez plus maintenant regretter de vous être mis en route d’aussi bonne heure, la matinée est magnifique, et tout nous présage une heureuse journée.

— Oui, oui, répondit celui-ci en riant ; grâce à Nuestra Señora de la Soledad, honorable capitaine, nous sommes dans les meilleures conditions voulues pour voyager.

— Hé ! je suis content de vous voir d’aussi bonne composition, je craignais que le réveil un peu brusque de ce matin, ne vous eût mis de mauvaise humeur.

— Moi ! Mon Dieu, honorable capitaine, répondit-il avec une feinte humilité, nous autres membres indignes de l’Église, nous devons nous soumettre sans murmurer à toutes les tribulations qu’il plaît au Seigneur de nous envoyer, et puis, la vie est si courte, qu’il vaut mieux n’en voir que le bon côté, afin de ne pas perdre en vains regrets