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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles on n’entendit d’autre bruit que le bruissement continu de l’eau du ruisseau sur le sable de son lit et le murmure mystérieux des insectes de toutes sortes cachés dans l’herbe.

Enfin, l’homme étendu sur le sol fit un second mouvement, plus fort que le premier et ouvrit les yeux.

Après avoir promené un regard égaré autour de lui, ses yeux s’attachèrent avec une sorte de fixité étrange sur le grand vieillard, toujours immobile à son côté, et qui l’examinait avec une expression mêlée de compassion ironique et de sombre mélancolie.

— Merci, murmura-t-il enfin d’une voix faible.

— Merci, de quoi ? répondit durement l’inconnu.

— Merci de m’avoir sauvé la vie, mon frère, reprit le blessé.

— Je ne suis pas votre frère, moine, riposta railleusement l’inconnu ; je suis un hérétique, un gringo, ainsi qu’il vous plaît de nous nommer ; regardez-moi bien, vous ne m’avez pas encore examiné avec soin : n’ai-je pas des cornes à la tête et des pieds de boucs ?

Ces paroles furent prononcés avec un tel accent de sarcasme que le moine demeura un instant confondu.

— Qui donc êtes-vous ? lui demanda-t-il enfin avec une secrète appréhension.

— Que vous importe ? fit l’autre avec un rire de mauvais augure, le diable peut-être.

Le blessé fit un brusque mouvement pour se lever et se signa à plusieurs reprises.