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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

bête de somme que l’on charge ou qu’on attelle ; malgré ma couleur, je suis autant que tout autre individu blanc, jaune ou rouge ?

— Tout autant, répondit le chasseur amusé et intéressé tout à la fois par ces naïves questions.

— Oh ! fit le nègre en se prenant la tête avec les mains ; oh ! je suis donc libre, enfin libre !

Il prononça ces paroles avec un accent étrange qui fit tressaillir le chasseur.

Tout-à-coup, il se jeta à genoux, joignit les mains et levant les yeux au ciel :

— Mon Dieu ! s’écria-t-il avec un accent de bonheur ineffable, toi qui peux tout, toi pour qui tous les hommes sont égaux et qui ne regarde pas à leur couleur pour les protéger et les défendre ; toi dont la bonté est sans bornes comme la puissance, merci, merci, mon Dieu, de m’avoir tiré d’esclavage et de m’avoir rendu la liberté.

Après avoir prononcé cette prière qui était l’expression des sentiments qui tourbillonnaient au fond de son cœur, le nègre se laissa aller sur le sol, et pendant quelques minutes il demeura plongé dans de sérieuses réflexions. Le chasseur respecta son silence.

Enfin, au bout de quelques instants, le nègre releva la tête.

— Écoutez, chasseur, dit-il, j’ai rendu, comme je le devais, grâces à Dieu de ma délivrance ; car c’est lui qui vous a inspiré de me défendre. Maintenant que je me sens un peu plus calme et que je commence à m’habituer à ma nouvelle condition, veuillez me faire le récit de ce qui s’est passé entre vous et mon maître, afin que je sache au juste l’étendue des