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LES RODEURS DE FRONTIÈRES

but. Je ne suis qu’un pauvre nègre dont l’esprit borné et l’intelligence étroite ne sauraient le guider convenablement dans les villes, où l’homme n’est prisé, non pas pour ce qu’il vaut, mais seulement pour ce qu’il paraît. À quoi me servirait cette liberté dont je suis si fier, dans une ville où pour manger et me vêtir, je serais immédiatement forcé de l’aliéner au profit du premier venu qui me donnerait ces premières ressources dont je suis complètement dénué ? Je n’aurais reconquis ma liberté que pour me rendre moi-même esclave. C’est donc dans le désert seul que je puis profiter de ce bienfait que je vous dois, sans craindre d’être jamais poussé par la misère à des actions indignes d’un homme qui a le sentiment de sa valeur. Aussi est-ce dans le désert que je veux vivre désormais, sans plus approcher des villes, que pour échanger les peaux des animaux que j’aurai tués contre de la poudre, des balles et des vêtements. Je suis jeune, vigoureux. Dieu qui m’a protégé jusqu’à présent ne m’abandonnera pas.

— Vous avez peut-être raison, je ne puis vous blâmer, moi, pour qui la vie que je mène est préférable à toute autre, de vouloir suivre mon exemple. Eh bien ! maintenant que tout est réglé et convenu à votre satisfaction, nous allons nous quitter, mon bon Quoniam, bonne chance ; peut-être nous rencontrerons-nous quelquefois sur le territoire indien.

Le nègre se mit à rire en montrant deux rangées de dents blanches comme la neige, mais il ne répondit pas.

Tranquille jeta son rifle sur son épaule, lui fit un dernier signe d’amical adieu, et se détourna pour regagner sa pirogue.