— Si je devine, viendras-tu avec les camarades ?
— Peut-être bien.
— Oui ou non ?
— Ma foi, oui. Tiens ! je ne risque rien, je peux bien parier.
— Alors, je ne suis qu’une huître ?
— Tu te connais mieux que moi.
— Voyons, t’es clerc d’huissier ?
— Faudrait m’ saisir moi-même un jour. J’ n’aimerais pas ça.
— Ouvreur de portières ? Ramasseur de bouts de cigares ?
— Ingrat ! répondit Mouchette, qui tira un troisième soutados de sa poche et le lui montra majestueusement avant de l’allumer, tu n’as même pas la mémoire du tabac.
— Bon ! bon ! on te la rendra, ta moitié de cigare. T’es jocrisse à la foire de Saint-Cloud ?
— L’hiver, au mois de février ! Oh ! mon oncle, tu me fais de la peine.
La plaisanterie préférée de Mouchette consistait à appeler Coquillard son oncle, ne se doutant pas qu’il marchait sur les brisées de Shakespeare.
— Si t’étais mon neveu, tu marcherais plus droit, graine de pendu.
— Tu voudrais que je pousse ! Merci ! On ne grandira pas pour la potence. D’abord faudrait s’expatrier pour être pendu, et j’ peux pas, le gouvernement a besoin de moi.
— T’es passé mouche, Mouchette ?
— Il y en assez sans moi.
— Cristi ! t’as monté une maison de banque ?
— Banquier ! moi ? je ne me fierais pas à mes commis.
— Banquiste, alors ?
— Donnes-tu ta langue aux chiens ?
— Dame !
— Dame ! oui, ou dame ! non ?
— Je veux que le tonnerre m’écrase si je sais de quoi t’es capable de t’occuper.
— Est-ce fini ?
— Oui, parle.
— Depuis hier, fit Mouchette avec importance, je r’trouve les chiens perdus…
— Ah ! la belle affaire ! Moi aussi, quand j’en rencontre.
— Et j’ sauve les noyés.
— Hein ?
— Les noyés !
— Qu’est-ce que c’est que cette blague ?
— Une blague ! ma position sociale ! Ah ben ! t’es dur pour les Terre-Neuve, toi !
— T’as repêché quelqu’un, toi ?
— À preuve ! reluque-moi ça, répliqua le voyou en retirant de sa poche une pièce de vingt francs et cinq ou six pièces de cinq francs mêlées à de la menue monnaie.