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Et il s’éloigna, pas assez vite cependant pour ne pas entendre la voix perçante du voyou de Paris, qui chantait à perce-tête :

Malbrough s’en va-t-en guerre,
Mironton, tonton, mirontaine,
Malbrough s’en va-t-en guerre,
Ne sais quand reviendra.


IX

OÙ RATON TAQUINE BERTRAND

— Cré coquin ! dit avec admiration Mouchette à la Cigale, qui rentrait de son pas tranquille dans la chambre, cré coquin ! vous pouvez vous vanter d’avoir une rude pince, vous !

— Tiens ! tu ne me tutoies plus, moucheron ?

— C’est vrai ! je suis cruche…

Et le petit, tournant autour du colosse comme un connaisseur ou un maquignon tourne autour du cheval qu’il veut examiner sur toutes ses coutures avant de l’acheter :

— Nom d’une pipe ! comme c’est établi ! Le beau travail ! Mes compliments à tes père et mère !

— Ah ! pas de bêtises ! moucheron ! touchons pas à ça !

— Et du cœur par-dessus le marché !

Il retroussait la manche droite de sa blouse tout en parlant, et il en sortait un bras maigre et long.

— Que que tu fais donc ?

Mais Mouchette, sans lui répondre, retroussa également la manche droite du bourgeron de la Cigale et mit à nu un bras formidable, monstrueux assemblage de muscles saillants comme des cordes à puits et de nerfs d’acier enchevêtrés les uns dans les autres.

— A-t-il des idées ! tu veux nous tatouer le biceps ?

— Non, je veux piger fit l’enfant, en plaçant son bras à côté de celui du géant.

Celui-ci se mit à rire, mais il se prêta à sa fantaisie.

— C’est assez drôle tout de même ! répliqua Mouchette, qui ne riait pas. Une allumette et un mât de cocagne, pas vrai ?

— Dame ! le fait est que tu ne pèses pas lourd.

— Eh bien ! ma vieille, souviens-toi de ce que je te dis : le jour où ceci, — il montrait son poignet et sa main droite, — s’en prendra à cela, — et il montra la poigne énorme de la Cigale, — ceci brisera cela comme un goulot de bouteille.

— Vrai ? répondit l’autre, qui s’amusait de l’air sérieux du gamin. Et comment t’y prendrais-tu, Moumouche ?