Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/113

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— Ainsi, fit Mouchette.

Et plus rapide que l’éclair, il se glissa, passa entre les jambes du colosse solidement arcbouté, et lui bondissant à califourchon sur les épaules, il lui posa sur le crâne la gueule béante d’un revolver à six coups.

— En v’là de la gymnastique ! dit la Cigale, qui ne tourna même pas la tête du côté du voyou. Faudrait voir à ne pas jouer avec les armes à feu, tu pourrais te blesser, petit.

Mouchette dégringola du haut de son perchoir et se retrouva en un instant sur ses jambes :

— T’es un rude mâle, sais-tu, la Cigale ?

— Je le sais.

— Si j’ai jamais besoin d’un coup de main, je peux-t’y compter sur toi ?

— Pour le bien, toujours.

— Je laisse le mal à Coquillard. Je suis le fils de la Pacline… c’est-à-dire son fils… enfin, je mange son pain, et je ne veux pas gagner le mien plus malhonnêtement qu’elle, la pauvre femme.

— Alors, pourquoi portes-tu des outils à six bouches, comme celui-là, dans ton portefeuille ?

— C’est un cadeau qu’on m’a fait.

— Qui ça ?

— Une riche Anglaise dont j’ai retrouvé le king’s charles. Je lui rapporte son caniche, elle pleure de joie dans mon sein et m’offre de l’argent. « Merci bien, que je lui fais, je reçois rien des femmes. — Aoh ! portant, jé volé récompenser vô. » Il y avait ce joujou sur la cheminée. Je lui dis : « Eh ben ! ma bonne dame, donnez-moi ce machin-là. — Le revolver de milord Blackword, jé donné à vô tôt de même. »

— Et ça t’a servi ?

— À rien, mais l’avenir est à Dieu, et le revolver est à moi. — C’est égal. — La morale de la chose, la v’là : Il n’y a pas de poigne grosse comme la tienne qui soit plus forte qu’une de ces petites balles pointues.

— Savoir. J’en ai reçu pas mal, de balles dans ma carcasse, et je suis encore bon du poignet. Mais ce n’est pas tout ça… ce n’est pas de ça qu’il s’agit.

— De quoi alors ?

— J’ai à causer un brin avec toi, petit.

— Vas-y carrément, je t’écoute.

— Oui, mais là, sérieusement.

— Ça va être embêtant… Attends un peu que je me leste…

Mouchette chercha la bouteille, mais il se souvint que le gourdin de Coquillard l’avait brisée et en avait répandu le contenu sur le plancher, qui s’était empressé de la boire jusqu’à la dernière goutte.

— Gueusard de Coquillard ! fit-il. Veux-tu que je descende chez le pharmacien ?

— Chez le pharmacien ?

— C’est comme ça que maman Pacline appelle le liquoriste.

— Non. T’as assez bu, et tant mieux s’il ne reste plus d’eau-de-vie, la