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Marguerite, tous les matins, accompagnait sa mère à la Halle ; on lui avait réservé une des meilleures places du Carreau.

La Pacline avait ses chalands particuliers et une : clientèle ordinaire, que lui assuraient ses manières honnêtes et tristes, sur lesquelles brochait l’allure vive et caressante de Marguerite.

Et, cela, sans qu’une seule des commères, ses voisines, fortes en gueule et en jalousie, se permît la moindre observation.

Il semblait, au contraire, que chacune de ces bonnes âmes fût enchantée du succès de l’orpheline et de la réussite de la veuve.

Aussi fallait-il voir comme Mlle Margoton vous recevait son monde du haut de sa gentillesse et de la petite chaise où on la plaçait dès son arrivée au carreau des Halles !

Un matin, le premier vendredi du mois de mars, vers les sept heures, au moment le plus actif de la vente, en plein coup de feu, la Pacline, qui venait d’écouler les derniers rogatons de sa marchandise, n’entendant plus rire ni chanter auprès d’elle, jeta les yeux sur la petite chaise de sa fille et la trouva vide.

Ce matin-là, précisément, à cause de l’affluence des acheteurs et de la cohue extraordinaire, elle avait recommandé à l’enfant de ne pas bouger.

— Marguerite ! appela-t-elle.

Mais Marguerite ne répondit pas.

— Petit diable ! pensa la mère, elle sera encore allée jouer avec le petit de Mme Beaupré. Voilà ce que c’est que de la trop gâter. Elle ne m’obéit plus.

Et elle recommença à crier de plus belle :

— Margot ! Margoton ! viens ! viens vite !

Rien.

La Pacline, impatientée de ce silence continu, sortit de son comptoir et courut chez Mme Beaupré, sa voisine.

Celle-ci n’était pas à son établi.

Elle, venait d’aller à l’autre bout du Carreau.

Et la Pacline attendit.

Mais Mme Beaupré revint. Elle n’avait pas amené, ce matin-là, son fils au marché, la vente durant ; elle n’avait même pas aperçu la fille de sa voisine.

— Ah ! mon Dieu ! fit la pauvre mère, dont une secrète angoisse, un sombre pressentiment vint traverser le cœur, comme eût pu le traverser la pointe d’un couteau. Ah ! mon Dieu !

Et cherchant à maîtriser l’émotion qui envahissait toutes ses facultés, elle se précipita, affolée, tremblante, allant de l’une à l’autre, et n’ayant qu’un seul mot à la bouche :

— Ma fille ! Vous n’avez pas vu ma fille ?

Personne ne l’avait vue ; mais tout le monde aimait Marie-Étiennette, si bonne, si serviable, et Marguerite, si gentille, si intelligente.

Chacune des vaillantes commères, qui ne put lui répondre : « Votre fille, la voilà ! » prit part à son angoisse, fit siennes sa douleur et sa peine.

On se mit en quête de reniant disparue. On alla, on vint, on s’informa.

En un instant, ce fut un tohu-bohu général.