Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En effet, ses anciennes amies, ses camarades, ses voisines se cotisèrent. Grâce à leur secours, la veuve Pacline — à partir de ce jour on ne l’appela plus Marie-Étiennette ! — se vit en mesure de recommencer son commerce.

Elle se remit à l’œuvre avec une sorte de rage.

Dans quel but, puisque désormais elle vivait seule ?

Cette petite fleur bleue qui pousse au bord des précipices les plus escarpés et qui a nom l’espérance, lui faisait-elle encore subir son mirage trompeur ?

Travaillait-elle pour oublier ?

Était-ce pour se souvenir ?

Non, la Pacline travaillait pour travailler.

Quelques années se passèrent.

La veuve remboursa peu à peu les avances qui lui avaient été faites si amicalement.

Elle se revit une seconde fois à la tête d’un modeste pécule, laborieusement gagné, qui ne devait rien à personne.

Seulement, trop pauvre pour reprendre sa place sur le carreau, elle se fit marchande à éventaire.

On ne l’entendit jamais proférer une plainte sur sa déchéance, car c’était bien une déchéance pour une dame de la Halle de devenir simple marchande des quatre-saisons.

Que lui importait ?

Par moment même, on eût pu croire qu’elle préférait sa misérable profession.

Pourquoi ?

Ah ! c’est que, sans se l’avouer à elle-même, la pauvre femme espérait.

Oui. Elle espérait ! le cœur d’une mère ne désespère jamais.

Elle voyait toujours devant elle cette petite fleur bleue qui l’attirait, et qui fuyait sa main au moment où sa main croyait la saisir.

Sous prétexte de débiter sa marchandise, mais, en réalité, dans l’idée de retrouver l’enfant disparue, la Pacline parcourait Paris du matin au soir.

Au commencement, elle allait et venait fiévreusement, sans se rebuter, sans ralentir ses infructueuses et incessantes recherches.

Mais à la longue, le temps, cet égoïste implacable, qui dans sa marche fatale passe son niveau irrésistible sur toutes les choses de ce monde, le temps accomplit son œuvre de consolation.

La fièvre du désespoir s’apaisa et disparut insensiblement, elle en vint à se changer en une résignation apathique, touchant au c’était écrit des Orientaux.

Bien que la mère ne renonçât pas à retrouver sa fille, jamais elle n’en parlait, jamais le nom de Marguerite ne sortait de ses lèvres.

La vie reprit pour elle son cours machinal.

D’ailleurs, de grands changements s’étaient opérés autour d’elle.

À la Halle, ses anciennes amies, ses connaissances s’étaient retirées les unes après les autres.

Des marchandes nouvelles les remplaçaient, et pour celles-là, avec qui la Pacline ne tenait pas à se lier, la disparition de mademoiselle Margoton était passée à l’état de légende douteuse.