Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/140

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Puis, se disant qu’il n’avait pas reconquis encore toutes ses facultés, la secousse ayant été plus que violente, il ajouta entre ses dents :

— Ce doit être quelque cheval de retour. Oui… quand je me serai bien remis dans les bonnes grâces de monsieur Jules, il me dira qui c’est, lui qui les connaît tous, depuis le premier jusqu’au dernier ; je l’arquepincerai, et son compte sera bon !

Nous saurons tout à l’heure de qui Coquillard entendait parler en nommant monsieur Jules.

Tout en maugréant de la sorte, comme une bête féroce qui tourne dans sa cage en mâchant à vide, Coquillard s’était approché d’un puits placé au fond de l’allée.

Là, tirant un seau d’eau fraîche, il se mit en devoir de faire disparaître le sang et la boue qui souillaient ses vêtements.

Cette toilette indispensable terminée tant bien que mal, il sortit de l’allée clopin-clopant et mit le pied dans la rue.

On ne descend pas impunément un certain nombre d’étages sur les reins, si solidement charpenté qu’on soit, sans se ressentir tant soit peu de cet étrange mode de locomotion.

Coquillard s’en ressentait si bien, qu’une fois dans la rue, il eut toutes les peines du monde à se tenir droit et à marcher sans boiter.

Son gourdin, ce gourdin qui avait servi à son adversaire pour lui asséner le coup de la fin, lui était, il est vrai, d’une grande utilité.

Sans son aide, il ne serait jamais parvenu à dissimuler les résultats douloureux de son double échec.

Enfin, faisant contre fortune bon cœur, il s’achemina le plus gaillardement possible vers son domicile.

Le cabaret de la Mastoc, où Mouchette devait faire ses liquides achats, se trouvait sur le chemin de Coquillard.

Un moment l’envie lui vint d’y entrer pour s’y restaurer ; mais se ravisant, il continua sa route aussi rapidement que le lui permettaient des élancements terribles, suite de sa dégringolade.

Heureusement pour lui, la distance n’était pas grande.

Il demeurait, 22, rue de la Cité.

— 22, les deux cocottes, ainsi qu’il le disait agréablement à sa portière, lorsque son humeur était tournée au gai.

Mais ce jour-là il voyait tout en noir, ou, pour être vrai, il voyait tout en rouge.

Aussi ne prit-il pas la peine de s’arrêter pour faire l’aimable auprès de la gardienne de ses lares.

La maison dans laquelle Coquillard venait de pénétrer, située au coin de la rue de la Cité, ne différait pas de l’immeuble où perchait la Pacline.

Même allée, un peu moins sombre.

Même escalier, un peu moins visqueux.

Coquillard s’y engagea sans hésitation.

Parvenu au second étage, il introduisit une clef, de raisonnable dimension, dans la serrure d’une porte faisant face à l’escalier.