Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/166

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Et il ouvrit la porte toute grande pour laisser passer Passe-Partout.

Puis, congédiant en peu de mots les clients et les agents de M. Jules, qui venaient d’avoir la satisfaction de l’entrevoir dans l’autre pièce sans pouvoir lui parler, il ferma la porte d’entrée à double tour et se remit à griffonner dans sa cage grillée.

M. Jules et Passe-Partout se trouvaient en présence.

Il y eut une pause.

L’ancien agent de la police de sûreté n’entrait jamais en relations, amicales ou hostiles, avec un nouveau visage sans l’avoir étudié dans tous ses détails.

De son côté, le capitaine tant vénéré par le brave la Cigale savait avoir affaire à forte partie.

Il ne tenait certes pas à engager le feu le premier.

M. Jules ayant passé son petit examen, commença, en lui indiquant un siège du doigt :

— Donnez-vous la peine de vous asseoir, monsieur.

Passe-Partout s’assit.

Alors, M. Jules, qui ne cessait pas de l’étudier, laissa échapper un léger éclat de rire :

— Il faut avouer, dit-il pour expliquer son hilarité, il faut avouer qu’un spectateur désintéressé aurait bien de la peine à reconnaître, à leur mise, les deux personnes qui se trouvent dans ce cabinet.

L’ouvrier fit un geste qui équivalait à une interrogation.

— Moi, je suis mis comme un duc et pair, ajouta-t-il en faisant jabot et en appelant l’attention sur sa mise de perruquier endimanché qu’il prenait pour le suprême du genre, et vous, monsieur le comte de Mauclerc, vous vous êtes donné le souci de vous déguiser en ouvrier qui sort de son atelier.

Et M. Jules se remit à rire.

Passe-Partout ne se dérida pas.

— C’est bien à monsieur le comte de Mauclerc que j’ai l’honneur de m’adresser, n’est-ce pas ?

— Je ne crois pas, monsieur, lui fut-il répondu.

— Hein ? quoi ? vous ne seriez pas le comte ?

— Pas le moins du monde, répondit Passe-Partout, qui ne sortait pas de son flegme anglican.

— Vous plaisantez ? s’écria l’autre, en fronçant les sourcils à la façon du Jupiter olympien.

— Je ne plaisante jamais, repartit l’ouvrier. Vous m’interrogez et vous me dites : « Vous êtes le comte de Mauclerc ? » Je vous réponds : « Pas le moins du monde ! » Je ne vois pas l’ombre d’une plaisanterie dans ma réponse.

— Ah çà ! est-ce que vous êtes venu ici pour vous ficher de moi ? gronda l’agent d’un ton menaçant.

— Franchement, je cherche ce que cela pourrait me rapporter.

— Moi aussi ! Voyons, assez causé. Qui êtes-vous ?… Vous me connaissez, je suis… M. Jules et je n’aime pas avoir affaire à des gens que je ne connais pas.

— Oui, c’est un avantage que vous ne voulez pas laisser sur vous à votre interlocuteur.