Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Peut-être bien, répondit M. Jules, fâché et surpris à la fois de se voir si promptement percé à jour. Répondez-moi ou prenez garde à vous !

— Mon cher monsieur, dit lentement Passe-Partout, permettez-moi de vous faire observer, avec tout le respect qu’un inconnu doit au célèbre M. Jules, que vous vous rendez souverainement ridicule.

— Ridicule ! reprit l’agent.

— Certes, oui, ridicule, continua-t-il en appuyant sur chaque syllabe de façon à rendre le mot deux fois plus rude à accepter. Comment ! je viens ici pour vous rendre service…

— Service… vous, à moi !…

— Et vous me traitez comme votre domestique, si vous avez un domestique !

— Tonnerre ! vous allez continuer longtemps comme ça !

— Et vous me menacez ? Croyez-vous pas que moi, qui me suis introduit volontairement dans votre tanière, je sois homme à trembler parce que je me trouve en face d’un ancien forçat libéré ?

— Sacré mille millions de… !

— D’un ex-agent de la police de sûreté, ajouta Passe-Partout d’une voix lente et mesurée.

— Vous seriez le boulanger en personne, que je ne souffrirais pas… cria M. Jules hors de lui, et se levant avec rage.

Mais l’autre ne le laissa pas même achever sa phrase :

— Et pourquoi, puisque vous n’êtes plus ni l’un ni l’autre, puisque, par la grâce royale et par la démission qu’on vous a obligé de donner, vous êtes rentré dans la catégorie des simples particuliers, sans autre influence que leur propre et mince mérite, pourquoi voulez-vous que je frissonne en votre présence ?

— Par le meg des megs ! jura M. Jules en levant les deux points, voilà un pante qui me fera bibarder de dix ans en une heure !

— Ah ! je vous supplie de remarquer que vous me parlez argot, langue qui m’est totalement étrangère.

— Ce n’est pas vrai, malin ; tu dévides le jars comme moi, j’en suis sûr, fit l’ex-agent, qui ne se possédait plus.

— Si c’est pour m’injurier, à votre aise, allez, mon bon ami, je vous répondrai en hindoustani. Cela fera une charmante conversation.

— V’là qu’il parle hindoustani ! répliqua l’ex-agent.

Probablement cette remarque calma M. Jules, car sa colère tomba comme un grand vent abattu par une petite pluie. Il comprit qu’il n’obtiendrait rien par la violence.

Aussi, avalant la rude semonce qu’on venait de lui administrer, il changea de manières et de ton.

— Enfin, voyons, ne nous fâchons pas.

— Cela vaudra mieux.

— Je ne demande pas mieux que de m’entendre avec vous.

— Écoutez-moi, alors.

— Vous m’avez fait passer la carte du comte de Mauclerc ?

— C’est vrai.