Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/174

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je suis un homme brave et j’ai besoin de savoir à quoi m’en tenir ; combien de temps me reste-t-il à vivre ?

« Et comme le docteur Martel hésitait :

« — La vérité, docteur, la vérité ! Il y va des plus graves intérêts…

« — Mais, monsieur, répondit M. Martel, ne pensez pas à cela ; je ne peux rien assurer, du reste, ce n’est pas le moment de vous occuper des affaires des autres…

— Oui, fit M. Jules, tous les biais qu’on trouve en pareil cas.

— Mais le blessé se dressant sur son séant : « Je vous somme de me répondre ; ai-je deux heures devant moi ? — Oh ! plus que cela, répondit le médecin. — Deux jours ? Il n’eut pas de réponse. — Un jour ? — Oui, si le mieux que j’espère se produit ; sinon, le sang vous… — Le sang m’étouffera ? — J’espère que non. — Mais c’est possible. » — Le médecin se taisant de nouveau, Mauclerc lui dit : « Merci. »

— Un crâne mâle, tout de même, grommela M. Jules avec l’admiration que tout homme de sa trempe a pour le courage matériel et brutal. Et alors, qu’est-ce qu’il vous a dit tout bas ?

« — Il faut que je voie M. Jules… Allez le trouver à son agence, 7, rue des Noyers, et priez-le de venir.

— Tout de suite ? s’écria M. Jules. Ah ! sacrebleu ! voilà une heure que vous me faites jaser quand c’était si facile de me…

— « Et priez-le devenir à six heures du soir, » continua imperturbablement Passe-Partout.

— Pourquoi si tard ?

— « À cette heure-là, dit le blessé, j’aurai envoyé chercher des papiers que je veux lui remettre… D’ici là, je vivrai, je vous le jure… »

— Très bien… je comprends ! fit l’ex-agent en se frottant les mains d’un air de jubilation… Les papiers… bon !

— Vous comprenez ? tant mieux, fit froidement l’ouvrier. Moi, je n’ai pas à comprendre, j’ai à accomplir ma mission, et je l’accomplis le mieux qu’il m’est possible. Que ces papiers soient curieux, qu’ils ne le soient pas, je ne demande ni à les voir ni à les lire. Je me rends au vœu d’un blessé, d’un mourant peut-être, c’est tout.

— Oh ! ils ne vous intéresseraient guère.

— Je le suppose. Le comte m’a chargé de vous recommander de ne pas vous faire annoncer sous votre nom.

— Il rougit de ses amis à son heure dernière, ce monsieur ? fit le patron du jeune et beau Piquoiseux, moitié blessé dans son amour-propre, moitié convaincu de l’utilité de cette précaution. C’est bon. On mettra un faux nez, si c’est nécessaire.

— Cela vous regarde.

— Ah ! le comte est un gaillard plein de prudence. Il ne laisse rien au hasard.

— Excepté sa vie, quand il la risque sur un dégagement ou sur un coupé mal paré.

— Vous faites des armes ? dit narquoisement M. Jules.