Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/194

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— Marcos Praya, M. le comte vous attendait.

Le métis s’inclina jusqu’à terre devant elle, puis, se redressant pour venir déposer ses hommages devant celui qui tenait sa vie et sa fortune entre ses mains débiles, il attendit que ce dernier l’interrogeât.

Le comte avait ouvert les yeux depuis un instant.

— Vous avez reçu ma lettre, Marcos ? lui dit-il.

— Depuis dix jours, monsieur le comte,

— Comment tout va-t-il là-bas ?

— Aussi bien que cela peut aller en l’absence du maître.

— Mes esclaves, mes serviteurs, ne manquent ni de force ni de dévouement. Comment se fait-il qu’il en soit ainsi ?

— Si dévoués que paraissent les serviteurs, si rudes au travail et durs au mal que soient les esclaves, ils ne remplacent jamais le maître.

— C’est vrai, ordinairement, ce que vous dites là, mon pauvre Marcos, reprit le comte de Casa-Real avec un soupir de regret ; mais pour cette fois-ci, je crois que vous vous trompez.

— Non, Seigneurie.

— Mon arrivée, mon retour n’apportera, je le crains, aucun changement dans l’habitation.

— Mon ami ! fit Hermosa.

— Vous le pensez comme moi, madame la comtesse, répliqua un peu sèchement le comte.

— Moi, je vous jure…

— Tout le monde vous aime et vous vénère, Seigneurie ! s’écria Marcos, coupant la parole à sa maîtresse, dont il devinait la gêne forcée ; les esclaves et les affranchis attendent votre retour avec une grande impatience.

— Oui… oui… c’est possible. Je n’ai jamais été un mauvais maître.

— Il y a si longtemps que vous nous avez quittés !

— Hélas ! fit M. de Casa-Real répondant à son serviteur comme s’il se fût répondu à lui-même. Hélas ! j’aurais agi plus sagement en n’entreprenant pas ce long et pénible voyage. Je n’ai pas voulu y renoncer. J’espérais. Aujourd’hui mes yeux, se sont ouverts. Il est trop tard, même pour me plaindre. Que la volonté du Très-Haut soit faite !

Comme tout bon Espagnol, et surtout comme un Espagnol malade, le comte mettait sa foi en Dieu, et n’entendait pas qu’on se permît chez lui la moindre raillerie contre les pratiques ordinaires de la religion.

La comtesse ne sourcilla point.

Mais, à coup sûr, des deux ce n’était pas elle qui avait le plus vivement senti les atteintes de la grâce.

Quant au métis, il s’inclina gravement devant la résignation de son maître.

Le capitaine Noël, qui s’était mis à causer avec le médecin du comte, ne donnait, en apparence du moins, aucune attention à ce qui se passait entre les nobles seigneurs de Casa-Real et le majordome Marcos Praya.

Après un temps laissé au comte, Hermosa voyant qu’il persistait dans sa tristesse, se leva, s’approcha de lui et le baisant au front :