— Pourquoi ces pensées ? dit-elle douloureusement. Vous voici revenu dans votre chère patrie. L’espoir, ce dictame béni, devrait rentrer dans votre cœur.
Le comte secoua la tête en signe négatif.
Elle reprit :
— Les médecins vous l’ont dit : votre maladie est surtout morale. Je suis de leur avis.
— Vraiment ? laissa échapper ironiquement le comte, qui se mordit les lèvres, s’apercevant que son exclamation venait de faire retourner le capitaine et le docteur. Continuez, ma chère, fit-il d’une voix plus affable.
— Réagissez contre vous-même.
— Vous me trouvez faible, n’est-ce pas ?
— Un peu.
— Je le suis, répliqua le comte avec une sombre raillerie qu’il dissimula mieux cette fois. Je l’ai été surtout.
— Que voulez-vous dire ?
— Rien. Vos conseils sont excellents, chère amie ; je m’efforcerai d’en profiter.
— Vous me comblez de joie ! répondit la créole. Chassez les tristes pensées qui vous assaillent, rattachez-vous à tout ce que vous aimiez jadis, et j’en suis sûre, je l’espère pour notre bonheur à tous, votre existence sera longue encore.
— Ainsi, Hermosa, vous croyez que j’appelle la mort et qu’il est besoin de me rappeler à la raison.
Cela fut dit lentement, et les yeux du comte dans ceux de sa femme.
Marcos Praya, les paupières baissées, attendant qu’on refit attention à lui, ne perdait rien de cette scène de ménage.
Le capitaine et le médecin causaient toujours à voix basse de leur côté.
La créole ne répliqua rien à la question posée par son mari ; elle le considérait avec stupeur, comme un enfant qui, après avoir lu et relu vingt fois la même phrase, y découvre un sens inconnu jusqu’à ce moment.
— Voyez-vous, chère, continua le comte de Casa-Real, à mon âge, lorsque l’avenir se présente avec ses horizons radieux, avec ses riantes promesses, on ne jette pas ses regards en arrière ; on cherche à voir devant soi. Eh bien ! il n’en est pas ainsi pour moi. Que mes idées soient justes, que mes pressentiments me trompent, l’avenir en décidera. Je vous ai attristée par mes plaintes, que j’aurais dû retenir. Brisons là. Vous voyez peut-être plus vrai que moi. Brisons là, je le répète.
La créole l’embrassa encore.
Puis, détournant la tête, elle s’essuya les yeux pour empêcher une larme d’apparaître sur le bord de sa paupière.
Le capitaine Noël eut un sourire de mépris sur les lèvres.
— Marcos Praya ! appela le comte.
— Seigneurie.
— Tout est-il prêt ?
— Oui, Seigneurie, fit le métis, comprenant à demi-mot.