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IV

TÊTE-À-TÊTE

La lettre que le capitaine Noël venait d’achever était ou paraissait être bien inoffensive, bien anodine.

À quoi bon cette recommandation expresse de la brûler, de la détruire après lecture ?

Il fallait comprendre bien mal la langue castillane, il fallait avoir l’esprit singulièrement tourné vers le mal pour entacher du plus léger blâme des paroles si cordiales, et qui exprimaient une aussi franche, une aussi sincère reconnaissance.

Notre héros relut pourtant deux fois cette lettre.

Chaque fois, il essuya avec son mouchoir son front, sur lequel perlaient des gouttelettes de sueur froide.

Une cruelle indécision se peignait sur ses traits attristés, assombris.

Il froissait machinalement le papier dans ses mains.

Un instant, la pensée de fuir, de quitter l’habitation du comte de Casa-Real traversa son esprit.

Mais quel prétexte donner à ce départ subit ?

À peine venait-il d’arriver.

Que penserait son hôte d’une détermination aussi étrange ?

D’autre part, se retirer sans le voir, sans le prévenir, était impossible.

— Que faire ? murmurait-il.

Après de longues fluctuations, Noël parut avoir pris son parti.

Il se leva, et allant au brasero, il brûla la lettre qui venait de causer son hésitation.

Sa promesse était tenue.

Alors, avec une insouciance formant un singulier contraste avec son émotion toute récente, il passa dans un cabinet de toilette attenant à la chambre à coucher.

Là, il se mit en mesure de réparer activement le désordre causé à sa tenue par un voyage de plusieurs heures.

Il achevait sa toilette lorsque la cloche sonna le dîner.

Noël se dirigea d’un pas tranquille vers la salle à manger.

Quatre personnes l’attendaient pour se mettre à table.

Ces quatre personnes étaient :

La comtesse de Casa-Real,

Le comte,

Le médecin,

Et l’aumônier de la famille de Casa-Real.

Dès qu’il eut mis le pied dans la salle à manger, le capitaine sentit le