Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/212

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libre que l’état de faiblesse dans lequel je me trouve m’empêche de faire de vous ma… ma victime.

— Je le regrette, répondit Noël en regardant la comtesse à la dérobée.

Celle-ci saisit la balle au bond et ajouta :

— Monsieur le comte de Casa-Real oublie une seule chose.

— Laquelle, madame ?

— C’est qu’en son absence je ferai mon possible, non pas pour le remplacer, je n’en ai pas la prétention, mais pour vous empêcher de trouver monotone le séjour de Casa-Real.

— Je n’avais pas oublié cela, comtesse, répliqua l’hôte de Noël, j’allais même l’ajouter, mais vous avez eu l’obligeance de me devancer, et je vous en remercie ; oui, mon cher monsieur Noël, ma femme est tout à votre dévotion.

Ce disant, un fin sourire apparaissait et disparaissait presque simultanément sur ses lèvres.

Noël fit semblant de ne rien voir, et pourtant…

Il vit le sourire du comte, il vit l’éclair de menace qui brilla dans les yeux de la comtesse.

Mais tout cela se passait entre gens du meilleur monde, il n’y eut pas un geste, pas un mot d’échangé qui indiquât l’état d’émotion intime dans lequel se trouvaient nos trois personnages.

Un drame terrible allait se jouer.

Deux d’entre eux le savaient.

Le troisième n’était pas sans une violente appréhension.

Et pourtant leur voix était tranquille, leur accent gracieux et poli.

Ils se tendaient la main, toute grande ouverte, rentraient les ongles et faisaient patte de velours.

Noël n’ayant rien répondu au comte de Casa-Real, celui-ci reprit :

— Vous êtes chasseur, capitaine ?

— Oui, comte.

— Mes ordres sont donnés. Demain, je l’espère, vous ferez dans mes bois une chasse dont vous garderez bien longtemps le souvenir.

— Croyez-vous être assez remis, demain, pour accompagner le capitaine, monsieur le comte ? demanda Hermosa.

— Hélas ! vous savez comme moi, chère amie, que je ne peux jamais compter ni sur ni avec ce mot terrible qu’on appelle : demain.

— Je serais désolé… fit Noël.

— Ne vous préoccupez pas de moi, mon hôte. Je prendrai mon inaction en patience, et Mme de Casa-Real, qui adore la chasse et qui de plus est une de nos plus audacieuses et habiles écuyères, vous conduira dans les meilleurs endroits.

Ces paroles, prononcées de la façon la plus aimable, avaient cependant une teinte de raillerie qui fut loin d’échapper au capitaine.

La créole était rentrée dans son impassibilité étudiée.

Rien ne devait plus l’en tirer devant son mari.

Le comte ajouta :