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Attendez-vous à une joie suprême, à une de ces joies qui épanouissent.

— Une joie ?… laquelle ?

— Dans peu d’instants, vous ne m’interrogerez plus. Soyez forte ; réunissez toute votre énergie et préparez-vous à me dire : Olivier, merci, je vous dois l’heure la plus douce de ma vie !

Il y eut un court silence.

Les deux jeunes gens, immobiles en face l’un de l’autre, se considéraient avec une expression intraduisible, expression de pitié sympathique de la part d’Olivier, d’espérance et de crainte de la part de la jeune fille.

Peu à peu, le calme se fit dans l’âme de cette dernière, et d’une voix ferme :

— Monsieur Olivier, lui dit-elle, jusqu’à présent je vous ai trouvé bon, dévoué, sincère. Partons ! Où vous me mènerez, j’irai. Partons ; j’ai foi en vous.

— Venez.

Et Olivier l’entraîna en murmurant à part lui :

— Pauvre et belle enfant !… Ah ! duchesse ! duchesse !… vous ne briserez pas celle-là comme vous avez brisé les autres… J’ai obéi pour les autres… Mais foi de… foi de gentilhomme ! pour celle-ci, je ne vous obéirai pas. Je crois même que, s’il le faut, je mettrai des bâtons dans vos roues.

Et tous deux, l’un soutenant l’autre, descendirent lentement la rue, côte à côte, sans prononcer une parole, sans même se regarder.

Pour la première fois, ce jeune homme se sentit ému près de cette jeune fille, que peut-être, à son insu et contre son gré, il poussait vers un abîme.

Il rougissait du rôle qu’il venait de jouer, sans se rendre compte si ce rôle était celui d’un bon ou d’un mauvais ange.

Arrivé au coin de la rue Poliveau, Olivier fit arrêter la jeune fille et, lui montrant la voiture :

— C’est là ! fit-il ; soyez courageuse.

Thérèse avança sans répondre.

— Montez, mon enfant, dit une voix calme et douce, une voix de femme.

Thérèse entra dans la voiture.

— Madame, s’écria alors Olivier s’adressant à une dame d’un certain âge dont les traits, encore très beaux, exprimaient une bienveillance pleine de charme ; madame, je vous amène ma sœur.

— Venez, ma fille, dit la dame en ouvrant ses bras à la pauvre enfant, qui, à ces mots inattendus, à ce choc violent, perdit connaissance et n’entendit même pas Olivier qui ajoutait d’un ton de doux reproche :

— Vous ai-je menti, Thérèse ?

Sans qu’il fût besoin de faire un signe au cocher, sans qu’on lui eût donné d’ordre ni d’adresse, celui-ci enveloppa ses chevaux d’un coup de fouet qui les fit partir ventre à terre.

Au moment où la voiture disparaissait à l’angle de la rue Poliveau et du boulevard de l’Hôpital, un petit judas, qui surmontait l’enseigne de la mère Machuré, s’entr’ouvrit, et la vieille mégère, s’efforçant d’allonger un cou qui