Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/226

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Là, il s’arrêta.

Il croisa les bras sur sa poitrine, et relevant fièrement la tête :

— Merci encore pour ce que vous venez de dire, monsieur, reprit-il. Tout ce que vous avez raconté de la vie de Mme la comtesse de Casa-Real, je l’ai entendu.

Hermosa se retourna vers lui pour voir s’il ne tenait pas une arme vengeresse à la main.

Il sourit de pitié et continua, au grand étonnement de sa femme :

— Oui, j’étais là, derrière cette porte, et j’écoutais.

Elle baissa la tête sur sa poitrine et elle attendit, effrayée, stupéfaite de trouver encore une aussi grande dose d’énergie dans ce cadavre galvanisé soudainement d’une façon incompréhensible.

— Il sait tout ! murmura-t-elle

— Oui, tout. Mais ne croyez pas que votre entretien m’ait appris rien de nouveau sur votre compte. Non. Je connaissais l’histoire de votre vie… depuis longtemps déjà… Ah ! madame, on n’a pas impunément une suite nombreuse de passions, d’amours, de caprices sans que dans le nombre de ces soupirants, de ces victimes ou de ces amants, il s’en trouve un moins commode et moins discret que les autres… Cherchez bien, comtesse, cherchez dans vos souvenirs adultères, et vous trouverez le délateur ; cherchez dans vos souvenirs de pure jeune fille, et vous en trouverez un aussi. Tous les hommes ne sont pas loyaux, délicats, comme le capitaine Noël.

Il y avait bien une pointe d’ironie dans cette dernière phrase du comte, mais quelle que fût la franchise de sa position, le marin se trouvait tellement porté à plaindre ce noble et courageux gentilhomme, qu’il ne jugea point à propos de la relever.

La comtesse voulut protester contre les imputations de son mari.

— Vous doutez, madame !… vous vous récriez… Lisez ceci, dit-il froidement en lui tendant un papier froissé et jauni de vieille date.

— Mensonge ! répondit Hermosa en jetant les yeux sur la lettre.

— Cette lettre dit vrai… comme vous disiez vrai vous-même tout à l’heure, quand vous ne me pensiez point à même d’entendre vos paroles.

— Une lettre anonyme ! s’écria-t-elle avec mépris… Vous ajoutez foi à de pareilles accusations, monsieur ?

— Anonyme !… Que nenni : Ce papier est signé.

— Signé !

— Oui, madame, et d’un nom qui vous fut cher !

— Lord William Killmore… lut Hermosa, en suivant du regard le doigt du comte de Casa-Real, qui lui indiquait la place où se trouvait en toutes lettres la signature accusatrice.

— Lord Killmore ! Un ami à moi, qui, assassiné par vos ordres…

— Ce n’est pas vrai ! hurla Mme de Casa-Real. Noël…

Le comte l’interrompit.

Il répéta :

— Qui, assassiné par vos ordres, dicta cette lettre à son lit de mort, n’eut que le temps de la signer. Ah ! vos bravi, ou votre bravo, — je ne vois guère