Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/227

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qu’un seul homme qui soit fasciné par votre beauté ou par vos vices, qui soit assez vil pour vous servir de poignard ou de poison, — votre bravo frappe juste et vite. Il a l’habitude de ces choses-là.

— Marcos Praya ? demanda Noël presque avec un sentiment d’épouvante.

— Vous l’avez nommé, capitaine, fit M. de Casa-Real… Ce misérable seul est capable de se constituer l’exécuteur des basses œuvres, le complice de Mme la comtesse.

— Non ! non ! dit-elle au comble de la rage et de la terreur.

— Ne vous mentez pas à vous-même, répliqua l’hôte de Noël s’approchant d’elle et lui posant la main sur l’épaule.

Elle se recula comme si un fer rouge venait de la toucher.

Le comte lut la lettre à voix haute et lente.

Dans cette lettre, tout chargeait sa femme.

À son dernier moment, lord Killmore racontait que de retour d’un voyage aux Indes, où il était allé réaliser son immense fortune pour venir la déposer aux pieds de sa maîtresse adorée, il avait trouvé cette dernière mariée à M. de Casa-Real.

Fou de désespoir et d’amour, il avait eu l’imprudence de menacer Hermosa de tout apprendre à son mari si elle ne s’enfuyait pas avec lui, si elle ne quittait pas l’époux qu’elle venait de choisir.

Hermosa ne lui avait pas longtemps fait attendre sa réponse.

Le soir même, en rentrant chez lui, il avait été frappé en pleine poitrine de deux coups de stylet, qui le laissèrent pour mort.

Il prévenait le comte de Casa-Real de se bien garder.

— Vous voyez que je me suis bien gardé, ajouta le comte avec une amertume croissante. J’ai aimé cette femme comme l’ont adorée tous ceux qui l’approchent.

— Monsieur, par grâce… fit la comtesse, qui, même en présence de Noël, ne put s’empêcher de faire une tentative pour ressaisir son empire sur cet homme qui avouait l’avoir tant adorée autrefois.

— Ah ! vous ne niez plus maintenant…

Elle éclata en sanglots.

Ses larmes avaient tant de pouvoir !

Noël y eût résisté avec peine.

Le comte ne fit qu’en rire.

— Non… vous ne niez plus rien… vous pleurez… de rage seulement. Croyez-vous me prendre à ces larmes menteuses ?… Je vous connais trop bien aujourd’hui pour en essuyer une seule. En vérité, vous êtes une des créatures les plus méprisables qui soient sur la terre. Vous ne reculez devant aucune comédie, devant aucune lâcheté… Vous vous imaginez qu’on peut commettre tous les crimes à l’abri d’un grand nom et d’une grande fortune… Je suis femme, pensez-vous, mon sexe et ma faiblesse me protègent ; je trouverai toujours grâce devant ceux qui se sont traînés à mes pieds, devant ceux dont j’ai été si longtemps l’idole… Eh bien ! non, madame ; vous serez sauvegardée de la honte… de l’échafaud peut-être, par l’homme dont vous portez le nom… mais la fille dénaturée, la femme adultère, ne trouvera pas grâce devant la