Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un sifflement léger, modulé sur l’octave basse, et qui pouvait se confondre avec la chanson de la brise dans les cordages, se fit entendre.

Trois autres hommes parurent au capot du logement de l’équipage.

Quatre des matelots de quart se dressèrent sur leur séant.

Après s’être levés nonchalamment, ils quittèrent la place où ils se trouvaient étendus, et se dirigèrent vers l’arrière.

En comprenant le timonier, ces hommes étaient au nombre de onze.

— C’est l’heure, dit un des trois maîtres.

— Tout est prêt, répondit le timonier.

— Bien.

— Mais les armes manquent.

— En voici, lui fut-il répondu.

Aussitôt ces demandes et ces répliques échangées avec une grande rapidité et à voix basse, des armes furent remises aux matelots de quart.

L’un d’entre eux en porta aux trois hommes demeurés à l’entrée du capot du logement de l’équipage.

Cela fait, il revint.

Le silence le plus absolu régnait à bord.

Le lieutenant dormait toujours.

Le moindre bruit l’aurait réveillé.

Ce bruit, aucun des conspirateurs ne devait le faire.

— Maintenant, nous sommes bien en mesure, n’est-ce pas ? reprit le personnage qui avait ordonné de remettre des armes aux matelots.

— Oui.

— Alors, chacun à son poste, et à l’œuvre !


VII

LE MASSACRE

Le ciel, d’un bleu profond, était semé d’une profusion d’étoiles brillantes comme de la poussière de diamant.

Pâle, blanche et froide, la lune se mirait dans la mer aux flots transparents.

La brise arrondissait les voiles et courait dans les cordages avec de mystérieux murmures.

Un double sillon phosphorescent, creusé par l’avant du navire, glissait sa double bande d’un blanc verdâtre le long de ses flancs pour la fondre et la réunir à l’arrière.

Le brick, légèrement penché sur bâbord, filait à travers les lames avec toute la mollesse d’une créole se balançant dans son hamac, au gré de son caprice, à l’heure paresseuse de la siesta.

La nature s’était complu dans la perfection de cette nuit.

Chaleur, parfums, clartés, rien n’y manquait.