nous allons maintenant convenir en détail de nos faits et gestes, afin de ne pas commettre de bévues, l’heure des explications une fois arrivée.
— Allons, señor, nous vous écoutons religieusement, répondit le maître d’équipage, qui armait le premier aviron de l’arrière.
— Vous le savez, je suis pour les moyens les plus simples et les plus expéditifs.
— C’est connu ! fit l’autre en riant.
— Les raisons les plus courtes sont les meilleures. Elles sautent aux yeux, n’éveillent aucun soupçon et sont comprises tout de suite. Voici ce que j’ai imaginé.
— Voyons ça ! dit le maître d’équipage enjoignant à ses hommes de se reposer.
Et pour prêcher d’exemple, il se mit à tordre délicatement une cigarette entre ses doigts brunis par le hâle et pleins de callosités.
Les nageurs se reposèrent sur leurs avirons assujettis sous le plat-bord, afin d’écouler à leur aise.
Rien ne les pressait.
Ils prenaient leur temps.
Le majordome reprit entre dix nuages de fumée :
— Qu’on ne perde pas une seule de mes paroles. Si quelqu’un ne me comprend pas, qu’il le dise ; je recommencerai mon explication, afin de ne pas nous couper les uns les autres.
On redoubla d’attention.
— Nous sommes, continua-t-il, l’équipage d’un brick-goélette mexicain nommé Le Santiago.
— Le Santiago, qui fait le grand cabotage entre la Vera-Cruz et les Antilles françaises, anglaises et espagnoles ? demanda le maître d’équipage.
— Lui-même.
— Bon. On n’en a donc pas de nouvelles, de ce brick-goélette, señor ?
— Non. Parti de la Martinique il y a trois semaines, pour Matanzas, ce navire n’a pas paru dans le port. Jusqu’ici, on a supposé qu’il s’était perdu corps et biens, ce qui doit être, par parenthèse…
— C’est évident. D’autres bateaux qui ont appareillé après lui de la Martinique viennent d’arriver à Cuba ces jours derniers.
— Vous saisissez la situation à merveille, mon garçon ; je continue. Trois jours après notre départ de la Martinique, le gros temps nous a brusquement jetés hors de notre route. Après une heure de manœuvres, nous avons perdu notre gouvernail… Vous m’entendez bien ?
— Parfaitement.
— Pendant un assez long temps, nous nous sommes vus les jouets de la tempête, des vents et des flots réunis contre nous.
— Après ?
— Un gouvernail de fortune est mis en place par nous. Le navire reprend sa marche. Mais avant-hier, on ne sait pas comment, le feu se déclare à fond de cale vers les sept heures du soir.
— Vers sept heures. Qu’on se le dise, répéta le maître d’équipage à ses