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À leurs premières questions, le concierge se contentait toujours de répondre en haussant les épaules.

S’ils insistaient, il disait :

— Vous avez vu, parce que vous avez bu.

S’ils revenaient à la charge, ils recevaient, au terme suivant, un congé parfaitement rédigé sur papier timbré.

Ce congé leur était signifié par un M. Karl Schinner, propriétaire de l’immeuble en question.

Il ne leur était pas fait grâce de vingt-quatre heures.

Soit que les locataires nouveaux fussent plus prudents, soit qu’ils fussent moins curieux et moins bavards que les précédents, nul ne s’occupa plus de ce sombre bâtiment.

Les vieilles murailles, rongées par l’humidité, demeurèrent muettes.

Le concierge ne fit plus donner congé.

Et tout alla comme dans la maison la plus ordinaire et la moins mystérieuse.

Dans la cour, à droite, un escalier étroit, assez raide et mal éclairé, conduisait à des appartements, ou plutôt à des logements de garçons, d’ouvrières, d’employés et à des ateliers de peintres.

L’aile gauche de la maison communiquait avec le principal corps de logis par un escalier de service.

Le bas en était occupé par les écuries et les remises du vicomte René de Luz, qui habitait le premier étage donnant sur la rue.

C’était dans cette maison que le colonel Martial Renaud avait fait transporter la jeune Lucie Gauthier et son enfant.

On y avait retenu pour elle un appartement situé au troisième étage.

Le second étage était occupé par sir Mortimer, gentilhomme écossais, dont les écuries et la remise étaient voisines de celles de René de Luz.

Entre ces deux gentlemen il ne paraissait y avoir que des relations de simple politesse.

Malgré le danger commun que nous leur avons vu courir, côte à côte, lors du double duel de M. de Mauclerc ; malgré leur accord tacite et l’assistance qu’ils s’étaient montrés prêts à se donner l’un à l’autre, dans leur vie de chaque jour, ils s’évitaient, se parlaient peu et ne prêtaient jamais assez le flanc pour qu’un curieux pût se dire : — Voilà deux bons compagnons, deux amis dévoués et sincères.

Au quatrième demeurait un vieil officier en retraite qui passait la moitié de son année à la campagne, et, le reste du temps, sortait tôt, rentrait tard, vivait comme un loup, ne se mêlant pas des affaires de ses voisins et faisant la grimace quand les voisins se mêlaient des siennes.

Les hautes régions du cinquième et du sixième étage étaient dévolues à de petits employés, entre autres à un sous-chef de bureau du ministère des Affaires étrangères, marié, sans enfants, et vivant là fort retiré avec sa femme, provinciale dépaysée, et aux domestiques du vicomte de Luz ou de sir Mortimer.

Voilà pour l’aile gauche de cet immense caravansérail.