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Hervé, prévenu à temps, réussit à arracher aux flammes et aux baïonnettes des bleus la femme de son frère de lait et ses deux jeunes enfants.

Le Boucher se vengea de cette déconvenue en égorgeant les derniers serviteurs des ducs de Dinan, en pillant le château de Kérouartz et en le détruisant de fond en comble.

La République tira à sa fin.

L’Empire vint.

Napoléon tomba.

Louis XVIII rentra en France.

Depuis longtemps déjà aucun de nos personnages n’avait reparu.

Le colonel Macé, lui-même, avait été tué en Espagne, à la bataille de Sommo-Sierra, au dire de ses compagnons d’armes.

Après les Cent-Jours, à la seconde Restauration, parmi les gentilshommes et les courtisans qui entouraient le roi Louis XVIII le jour de sa rentrée aux Tuileries, se pavanait un beau seigneur auquel on donnait le titre de duc de Dinan, de Kérouartz de Lestang.

C’était, un homme de cinquante ans, à l’abord raide et froid, au regard inquiet et sombre.

Le hasard fit qu’une nuit, à la sortie d’un bal de la cour, deux officiers de l’escorte du roi, un capitaine et un chef de bataillon, entendirent appeler : Les gens de Son Excellence le duc de Dinan.

Ils s’arrêtèrent d’un commun accord.

Le duc passa devant eux.

Alors le chef de bataillon dit au capitaine à haute et intelligible voix :

— Frère, cet homme est un imposteur, ce n’est pas le duc de Dinan.

Et le capitaine lui répondit lentement et de façon à se faire entendre par tous les invités :

— Oui, frère, tu as raison, cet homme n’est pas le duc de Dinan, de Kérouartz de Lestang !

Ce fut un scandale énorme.

Le propos ne manqua pas d’être répété et d’arriver aux oreilles du roi.

Sa Majesté Louis, dix-huitième du nom, manda le duc.

Celui-ci ne daigna même pas se défendre.

Il intenta un procès aux deux officiers.

Le procès eut un retentissement très grand et tint pendant plus de trois mois la curiosité publique en éveil.

Le duc gagna.

Les officiers, convaincus de diffamation, faute de preuves authentiques accusés d’avoir voulu substituer un vagabond aux noms, titres et armes du duc de Dinan, se virent dégradés, condamnés à la déportation et envoyés à la Guyane.

Peu de temps après, les gazettes rapportaient la mort de deux déportés, qui avaient essayé de s’évader de la colonie.

Ces deux déportés se nommaient : Alain Kergraz et Yvon Kergraz.

C’étaient le chef de bataillon et le capitaine en question.

Quant au vagabond qu’ils avaient tenté de mettre à la place du duc, il