Page:Aimard - Les invisibles de Paris, 1893.djvu/298

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celle qui les faisait mouvoir, vivre, s’agiter ; mais la Pomme eut beau heurter à la porte de la petite chambre à coucher, personne ne lui répondit.

La chambre était vide.

— Bon ! s’écria Rosette, en frappant ses mains l’une contre l’autre, avec un geste de comique désespoir, j’en étais sûre !

— Sûre de quoi, ma chère enfant ?

— Mais, cette fois, par exemple, je ne lui pardonnerai pas ! elle va me payer ça plus cher qu’au bureau.

M. Lenoir ne comprenait rien à la colère, à la violente indignation de sa brune voisine.

— En vérité, Rosette, vous m’effrayez pour votre amie, pour votre sœur ! Que peut-il y avoir ? demanda-t-il avec toutes les marques d’un vif intérêt.

— Ce qu’il y a, mon bon monsieur Lenoir, ce qu’il y a ! Pardine, ce n’est pas bien malin à deviner. Il y a que je suis furieuse !

— Furieuse ! Pour quel motif ?

— Aussi, suis-je bête ! Moi qui n’ai rien vu !… Et je me disais en me déshabillant et en me rhabillant tout à l’heure : C’est drôle ! il me semble que mon ouvrage n’était pas si avancé que cela.

— Comment ? c’est cela qui cause votre colère ?

— Trouvez-vous qu’il n’y ait pas de quoi rager, vous ? Une méchante sœur qui se tue la santé pour une ingrate, une paresseuse comme moi !

— Chère enfant !

— Venez, venez chez moi ! et vous allez voir pourquoi je suis en fureur.

— Je comprends, je comprends, répondit M. Lenoir attendri.

— Oui… Eh bien ! ne faites pas de bruit, et nous la surprendrons, nous la pincerons la main dans le sac. Il n’y aura pas moyen de dire ma belle amie !

Le commis-voyageur sentit quelque chose qui coulait sur sa joue gauche.

C’était une larme qui venait du cœur.

Il la laissa tomber et suivit la jeune fille.

La Pomme marchait sur la pointe de ses petits pieds, à pas de loup ; elle se dirigea vers son propre logement, poussa la porte sans faire le moindre bruit, et, entrant vivement suivie de M. Lenoir, elle s’écria en lui montrant sa sœur :

— Là ! ne vous l’avais-je pas dit ?

Pâques-Fleuries, assise devant une petite table ronde, travaillait avec ardeur à un bouquet de fleurs artificielles à peine commencé.

Rosette et Pâques-Fleuries étaient fleuristes toutes les deux. Seulement, Rosette en prenait à son aise.

Elle s’était mise au mieux avec la maîtresse du magasin pour lequel elle travaillait.

Aussi n’y allait-elle qu’à ses heures, et le plus souvent que pour lui porter l’ouvrage de sa sœur.

Au cri poussé par la Pomme, Pâques-Fleuries tressaillit et se retourna machinalement.

Apercevant M. Lenoir et sa sœur, qui se tenaient immobiles sur le seuil de la porte entre-bâillée, elle devint rouge comme un coquelicot ; mais, repre-